Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques : Adieux à la poésie
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Méditations poétiques est le premier recueil de poèmes d'Alphonse de Lamartine, publié en 1820. La première édition comportait 24 poèmes. D'autres éditions suivirent ; celle de 1849 comportait alors 41 poèmes. Ce recueil marque l'aboutissement d'un courant de poésie élégiaque caractérisé par de nombreuses allusions mythologiques, une tonalité exclamative, des interrogations ainsi qu'une abondance de périphrases poétiques.
Pour citer l'œuvre : Œuvres complètes de Lamartine , Chez l’auteur, 1860, 1 (p. 489-493).
Il est une heure de silence
 Où la solitude est sans voix,
 Où tout dort, même l’espérance ;
 Où nul zéphyr ne se balance
 Sous l’ombre immobile des bois.
 
 Il est un âge où de la lyre
 L’âme aussi semble s’endormir,
 Où du poétique délire
 Le souffle harmonieux expire
 Dans le sein qu’il faisait frémir. 
 L’oiseau qui charme le bocage,
 Hélas ! ne chante pas toujours :
 À midi, caché sous l’ombrage,
 Il n’enchante de son ramage
 Que l’aube et le déclin des jours.
 
 Adieu donc, adieu, voici l’heure,
 Lyre aux accords mélodieux !
 En vain à la main qui t’effleure
 Ta fibre encor répond et pleure :
 Voici l’heure de nos adieux.
 
 Reçois cette larme rebelle
 Que mes yeux ne peuvent cacher.
 Combien sur ta corde fidèle
 Mon âme, hélas ! en versa-t-elle,
 Que tes soupirs n’ont pu sécher !
 
 Sur cette terre infortunée,
 Où tous les yeux versent des pleurs,
 Toujours de cyprès couronnée,
 La lyre ne nous fut donnée
 Que pour endormir nos douleurs.
 
 Tout ce qui chante ne répète
 Que des regrets ou des désirs ;
 Du bonheur la corde est muette ;
 De Philomèle et du poëte
 Les plus doux chants sont des soupirs. 
 Dans l’ombre auprès d’un mausolée,
 Ô lyre, tu suivis mes pas ;
 Et, des doux festins exilée,
 Jamais ta voix ne s’est mêlée,
 Aux chants des heureux d’ici-bas.
 
 Pendue aux saules de la rive,
 Libre comme l’oiseau des bois,
 On n’a point vu ma main craintive
 T’attacher, comme une captive,
 Aux portes des palais des rois.
 
 Des partis l’haleine glacée
 Ne t’inspira pas tour à tour ;
 Aussi chaste que la pensée,
 Nul souffle ne t’a caressée,
 Hormis le souffle de l’Amour.
 
 En quelque lieu qu’un sort sévère
 Fît plier mon front sous ses lois,
 Grâce à toi, mon âme étrangère
 A trouvé partout sur la terre
 Un céleste écho de sa voix.
 
 Aux monts d’où le jour semble éclore,
 Quand je t’emportais avec moi
 Pour louer celui que j’adore,
 Le premier rayon de l’aurore
 Ne se réveillait qu’après toi. 
 Au bruit des flots et des cordages,
 Aux feux livides des éclairs,
 Tu jetais des accords sauvages,
 Et, comme l’oiseau des orages,
 Tu rasais l’écume des mers.
 
 Celle dont le regard m’enchaîne
 À tes accents mêlait sa voix,
 Et souvent ses tresses d’ébène
 Frissonnaient sous ma molle haleine,
 Comme tes cordes sous mes doigts.
 
 Peut-être à moi, lyre chérie,
 Tu reviendras dans l’avenir,
 Quand, de songes divins suivie,
 La mort approche, et que la vie
 S’éloigne comme un souvenir.
 
 Dans cette seconde jeunesse
 Qu’un doux oubli rend aux humains,
 Souvent l’homme, dans sa tristesse,
 Sur toi se penche et te caresse,
 Et tu résonnes sous ses mains.
 
 Ce vent qui sur nos âmes passe
 Souffle à l’aurore, ou souffle tard ;
 Il aime à jouer avec grâce
 Dans les cheveux qu’un myrte enlace,
 Ou dans la barbe du vieillard. 
 En vain une neige glacée
 D’Homère ombrageait le menton ;
 Et le rayon de la pensée
 Rendait la lumière éclipsée
 Aux yeux aveugles de Milton.
 
 Autour d’eux voltigeaient encore
 L’amour, l’illusion, l’espoir,
 Comme l’insecte amant de Flore,
 Dont les ailes semblent éclore
 Aux tardives lueurs du soir.
 
 Peut-être ainsi… Mais avant l’âge
 Où tu reviens nous visiter,
 Flottant de rivage en rivage,
 J’aurai péri dans un naufrage,
 Loin des cieux que je vais quitter.
 
 Depuis longtemps ma voix plaintive
 Sera couverte par les flots,
 Et, comme l’algue fugitive,
 Sur quelque sable de la rive
 La vague aura roulé mes os.
 
 Mais toi, lyre mélodieuse,
 Surnageant sur les flots amers,
 Des cygnes la troupe envieuse
 Suivra ta trace harmonieuse
 Sur l’abîme roulant des mers. 
Commentaire de texte d'Alphonse de Lamartine : Adieux à la poésie
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L'auteur : Alphonse de Lamartine
														Alphonse de Lamartine (1790-1869) est un poète, romancier, dramaturge français, ainsi qu'une personnalité politique qui participa à la Révolution de février 1848 et proclama la Deuxième République. Il est l'une des grandes figures du romantisme en France.