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Jean Cocteau (1889-1963) : vie et œuvre

Jean Cocteau

« Ecrire est inadmissible si ce n’est pas une sorte d’élimination de l’âme », affirme Jean Cocteau. Surnommé le Prince frivole à ses débuts dans les cercles littéraires parisiens, ce jeune garçon précoce et torturé par le besoin d’écrire est d’abord la coqueluche des milieux mondains avant de s’en extraire par une volonté toujours renouvelée de se faire hérétique par rapport à la norme artistique en vogue. 

Soutien indéfectible du cubisme et de la musique de Satie, aux avant-postes du cinéma, Jean Cocteau a aussi été dessinateur et peintre, décorateur de chapelles (Villefranche-sur-Mer et Milly-la-Forêt), amant éploré de Raymond Radiguet (entre autres), et génie touche-à-tout (au point qu’il est impossible de l’enfermer dans une seule mouvance littéraire). 

Attaché à l’étonnement constant envers toutes choses, Cocteau est avant tout poète, même dans le mélange total des arts, accouchant de l’écriture dans la douleur, multipliant les essais autobiographiques atteint du complexe Rimbaud (il se rajeunit parfois de trois ans) et habité par l’envie d’être, à la façon d’Apollinaire, un porte-flambeau, un éclaireur de route pour la postérité. 

Vie de Jean Cocteau 

Né à Maisons-Laffitte le 5 juillet 1889, Jean Cocteau est issu d’une famille de la grande bourgeoisie parisienne. Son père se suicide alors qu’il n’a que neuf ans. Dès l’âge de six ans, le jeune Jean fait preuve d’une grande curiosité envers l’art du spectacle : sa mère lui rapporte les programmes de ses sorties et le futur poète touche-à-tout en imagine les décors et les musiques.

A quinze ans, il rentre en sixième au lycée Condorcet, où il rencontre Pierre Dargelos, un condisciple fantasque qui exerce sur lui une grande fascination. On retrouve le personnage dans le roman Les Enfants terribles, publié par Cocteau en 1929 (Dargelos y est décrit comme le coq du collège, sorte de meneur de bande indépendant et frondeur).

Ne manifestant que peu d’intérêt pour les études et la discipline, il est renvoyé du lycée en 1904. En parallèle, Jean Cocteau écrit ses premiers poèmes. Le tragédien Edouard de Max le repère, remarque sa plume et son style et l’introduit au tout-Paris mondain et littéraire. Le jeune poète à l’esprit de dandy rencontre immédiatement un immense succès.

En 1909, Jean Cocteau publie son premier recueil à compte d’auteur, La Lampe d’Aladin, dont les poèmes, d’un style assez ampoulé, sont inspirés des Mille et une nuits. En 1910, il publie un second recueil sous le nom du « prince frivole », sobriquet que lui a attribué le Paris mondain.

Il devient rapidement une figure connue des milieux artistiques bohèmes. Il fréquente les salons parisiens, comme celui de Madame de Noailles, où trainent aussi Proust, Barrès, Daudet… En 1913, Jean Cocteau fait la connaissance de Serge de Diaghilev, maître du ballet russe : la création du Sacre du printemps de Stravinski est pour Cocteau une révélation et un tournant définitif dans son approche de la création.

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D’ailleurs, la réaction hostile du public à la première de Stravinsky au théâtre des Champs Elysées (les spectateurs en viennent à briser les fauteuils), conforte Jean Cocteau dans son idée que la création artistique ne peut être qu’anticonformiste. Dans Le Coq et l’Arlequin, essai sur la musique publié en 1918, Cocteau affirme : « Lorsqu’une œuvre semble en avance sur son époque, c’est simplement que son époque est en retard sur elle ».

Ce coup de foudre pour Stravinsky et comparses marque la première crise coctalienne : fatigué d’être la coqueluche des élégantes, Jean Cocteau renie ses précédents recueils et se rapproche de l’avant-garde cubiste et futuriste. A partir de cette période, il collabore avec des artistes russes (notamment avec le Dieu bleu en 1912), mais aussi avec Picasso et Erik Satie (pour le ballet Parade, en 1917).

Cocteau, qui est habité par une rage de découverte et de création, s’intéresse de fait aussi à la musique, passion qu’il ajoute à ses multiples intérêts artistiques. Il connaît par cœur des mélodies de Massenet, qu’il chantait de sa voix de ténor. Même si Cocteau ne maîtrisait pas un instrument en particulier, à part un peu de batterie, il était féru de musique et se procurait tous les derniers disques de jazz.

On retrouve de nombreuses réflexions éparses de Cocteau  sur la musique dans Le Coq et l’Arlequin, notes sur la musique :

Nous avons tous un épiderme sensible aux tziganes et aux marches militaires. […]

Il y a des œuvres longues qui sont courtes. L’œuvre de Wagner est une œuvre longue qui est longue, une œuvre en étendue, parce que l’ennui semble à ce vieux dieu une drogue utile pour obtenir l’hébétement des fidèles.

Il en est ainsi des magnétiseurs qui hypnotisent en public. La bonne passe qui endort est généralement très courte et très simple, mais ils l’accompagnent de vingt passes postiches qui frappent la foule.

La foule est séduite par le mensonge ; elle est déçue par la vérité trop simple, trop nue, trop peu inconvenante. […]

Socrate disait : « Quel est cet homme qui mange du pain comme si c’était de la bonne chère, et la bonne chère comme si c’était du pain ? »

Réponse : le mélomane allemand.

Jean Cocteau, Le Coq et l’Arlequin, 1918

Réformé du service militaire, Jean Cocteau participe néanmoins à la Première Guerre mondiale en s’enrôlant en tant qu’ambulancier dans un convoi sanitaire civile. Il est finalement démobilisé pour des raisons de santé. De retour à Paris, il poursuit ses activités artistiques en fréquentant les figures de l’époque : Proust, Gide ou encore Maurice Barrès

En 1923, Cocteau publie un roman sur son expérience de la guerre : Thomas L’Imposteur, puis une pièce de théâtre, adaptation de Roméo et Juliette, créée à Paris au théâtre La Cigale en juin 1924. 

Amours et opium

En 1918, par l’entremise du poète et peintre moderniste Max Jacob, Cocteau rencontre Raymond Radiguet, un jeune poète (auteur du roman Le Diable au corps, en 1923) dans lequel Cocteau repère instantanément du génie. Ils vivent ensemble une relation amicale, puis, au fil du temps, une relation amoureuse. Cocteau le soutient et l’introduit dans les cercles littéraires.

Modigliani, Jean Cocteau (1916), musée d'Art de l'université de Princeton.
Modigliani, Jean Cocteau (1916), musée d’Art de l’université de Princeton

Avec le Groupe des Six (groupe de musiciens, dont Auric et Poulenc, que Cocteau défend et protège), Radiguet et son amant font partie de l’avant-garde de Montparnasse, fréquentant Reverdy, Max Jacob, Modigliani (qui peint leur portrait à chacun). Avec le groupe des Six, Cocteau publie, en 1921, Les Mariés de la Tour Eiffel, œuvre collective défendant la nouvelle génération musicale.

En 1923, alors que Radiguet est allé se baigner dans la Seine, le jeune poète contracte une fièvre typhoïdique à laquelle il succombe rapidement. Cocteau est dévasté par cette perte et tombe dans l’opium. Il fait un touchant hommage à Radiguet dans la préface du Bal du comte d’Orgel de Radiguet, publié à titre posthume en 1924 par Bernard Grasset :

Voici ses dernières paroles :
“Écoutez, me dit-il le 9 décembre, écoutez une chose terrible. Dans trois jours je vais être fusillé par les soldats de Dieu.” Comme j’étouffais de larmes, que j’inventais des renseignements contradictoires : “Vos renseignements, continua-t-il, sont moins bons que les miens. L’ordre est donné. J’ai entendu l’ordre.”


Plus tard, il dit encore : “Il y a une couleur qui se promène et des gens cachés dans cette couleur.”

Je lui demandai s’il fallait les chasser. Il répondit : “Vous ne pouvez pas les chasser, puisque vous ne voyez pas la couleur.”
Ensuite, il sombra.
Il remuait la bouche, il nous nommait, il posait ses regards avec surprise sur sa mère, sur son père, sur ses mains.
Raymond Radiguet commence.

Préface par Jean Cocteau au Bal du Comte d’Orgel de Raymond Radiguet

Influencé par Diaghilev, il s’oublie dans l’opium à Monte Carlo. Il publie, en 1924, Prière Mutilée et L’Ange Heurtebize. L’addiction de Cocteau est déterminante dans son approche de l’écriture. Dans Opium, Journal d’une désintoxication, publié en 1930, Cocteau écrit : « Je refumerai, si mon travail le veut ».

Lorsque Cocteau déclare la grande importance du sommeil pour lui (« j’ai écrit très peu d’œuvres éveillé »), on ne peut s’empêcher de faire le rapprochement entre cette léthargie poétique et le besoin éprouvé par Cocteau de capter le flot magnétique de l’univers, de faire venir de l’intérieur son inspiration dans une état de quasi-transe.

Les phases de sevrage sont très éprouvantes pour l’artiste, mais font partie de sa technique de création, qu’on pourrait associer à une « poétique du fragment ». Les crises et cures de désintoxication s’enchaînent et l’une d’entre elles sera plus importante : celle de 1928, aux Termes de Saint Cloud, à l’issue de laquelle il écrit l’un de ses romans les plus connus, Les Enfants Terribles, en une semaine.

Le roman est inspiré de Jean et Jeanne Bourgoint, deux enfants rencontrés alors que Cocteau séjourne à Villefranche-Sur-Mer, chez les Maritain. Cocteau se lie d’amitié avec le garçon et se rapproche un temps de la foi catholique. Alors qu’elle a à peine vingt ans, Jeanne se suicide et son frère, profondément affecté par cette mort, rentre dans les Ordres.

Théâtre, cinéma et gloire

Jean Marais et Jean Cocteau
Jean Marais et Jean Cocteau à la terrasse d’un café lors de la Mostra de Venise 1947.

Dans les années 1930, puis 1940, Jean Cocteau se rapproche du monde du cinéma. Il entretient pendant quelques années une relation amoureuse avec Jean Marais, célèbre acteur de cinéma. Il emmène ce dernier à Montargis, où l’acteur peut être témoin du processus d’écriture de Cocteau, une écriture de l’urgence, spontanée (Cocteau a parfois du mal à se relire). A la radio, Jean Marais témoigne :

Il restait couché toute la journée sur un lit, il fumait, il lisait des livres policiers, mes brochures. Il fermait les yeux, ça durait des heures, comme ça. Il n’écrivait pas. Ça a duré deux mois. Je commençais à m’inquiéter, je ne l’avais jamais vu écrire de ma vie. Une nuit, il s’est levé brusquement, s’est mis à la table et s’est mis à écrire. Là, son visage s’est transformé, il faisait peur. Sa bouche se crispait. Il était d’une nervosité incroyable. Il a écrit sa pièce en huit jours sans presque de ratures. J’ai compris que lorsqu’il fermait les yeux, étendu sur le lit, il faisait sa pièce dans sa tête, phrase par phrase, acte par acte. A la table, il devenait son propre secrétaire.

Jean Marais, interviewé à la radio française

En 1938, il publie Les Parents terribles, puis en 1940, Le Bel indifférent, pièce écrite pour Edith Piaf. Ces deux pièces rencontrent un grand succès et permettent à Cocteau d’asseoir sa réputation dans l’Europe des artistes et de passer à la postérité.

Durant la Seconde Guerre mondiale, son rôle est ambigu car très peu d’informations nous sont revenues de ses activités durant cette période. Certains résistants l’accusent de collaboration, mais Cocteau est aussi connu pour sa grande discrétion quant à son engagement politique.

Cocteau s’investit par la suite dans le cinéma, notamment avec le film La Belle et la Bête, qu’il réalise (le film sort en 1946). Il devient une référence dans le monde cinématographique, au point qu’il devient président du jury du festival de Cannes lors des éditions de 1953 et 1954. L’artiste s’essaie aussi par la suite au dessin et à la peinture (encouragé par Henri Matisse, il réalise un Apollon sur les murs blancs de la villa Santo Sospir).

Enfin, le 3 mars 1955, Jean Cocteau est élu à l’Académie française, au fauteuil de Jérôme Tharaud. Reçu le 20 octobre de la même année, par André Maurois, Cocteau décrivait la Coupole comme « quelque grotte sous-marine, une lumière quasi surnaturelle d’aquarium et sur des gradins en demi-cercle, quarante sirènes à queues vertes et à voix mélodieuses ».

Le 10 octobre 1963, Jean Cocteau apprend la mort d’Edith Piaf dans sa demeure de Milly-la-Forêt et succombe quelques heures plus tard d’une crise cardiaque. Sur sa tombe (il est enterré dans le cimetière jouxtant l’église de Milly-la-Forêt), on peut lire en guise d’épitaphe : « Je reste avec vous ».

L’œuvre de Jean Cocteau 

L’œuvre de Jean Cocteau est marquée par la curiosité, l’innovation, le besoin d’être un « hérétique » de l’art et la diversité des genres auxquels il s’essaie toute sa vie durant. D’abord la poésie, influencée tout d’abord par les deux grands courants qui marquent le début du XXe siècle, le cubisme avec Picasso et le surréalisme avec André Breton. 

En 1919, le recueil Le Cap de Bonne espérance est publié : Cocteau, d’abord considéré comme un mondain frivole doté d’une écriture néoromantique (La Lampe d’Aladin, en 1909 et Le Prince frivole en 1910), passe du côté des modernes, et voit son écriture saluée par Rainer Maria Rilke et Ionesco. Entre 1925 et 1927, Cocteau écrit une suite de poèmes en forme d’autoportraits qui paraissent dans le recueil Opéra. Il y définit sa vision de la poésie :

Accidents du mystère et fautes de calculs
Célestes, j’ai profité d’eux, je l’avoue.
Toute ma poésie est là : je décalque
L’invisible (invisible à vous).
J’ai dit : « inutile de crier, haut les mains ! »
Au crime déguisé en costume inhumain ;
J’ai donné le contour à des charmes informes ;
Des ruses de la mort la trahison m’informe ;
J’ai fait voir, en versant mon encre bleue en eux,
Des fantômes soudain devenus arbres bleus
.

Jean Cocteau, Opéra

Ce qui fait la notoriété de Cocteau, c’est aussi une hargne dans la découverte de nouveautés, une hâte dans l’écriture, et une volonté d’étonner à tout prix, dans tous les domaines. C’est pourquoi, après la poésie, Cocteau s’essaie aussi au roman poétique avec Potomac en 1919, Thomas l’Imposteur en 1923 et Les Enfants terribles en 1929.

Enfin, il occupe une place importante dans le théâtre (c’est un grand admirateur de Giraudoux, dans lequel il reconnaît la capacité à redonner à l’art dramatique la féerie dont il avait été vidé). Ses principales pièces sont Les Mariés de la tour Eiffel, en 1924, La Voix humaine en 1930, La Machine infernale en 1934, Œdipe Roi en 1937, Les Parents terribles en 1938 ou encore L’Aigle à deux têtes en 1946.

Pour compléter ce tableau de génie touche-à-tout, Jean Cocteau se tourne vers le cinéma et marque la réception de l’époque par des scénarios brillants : Le Sang d’un poète (1930), L’Éternel retour (1943), La Belle et la Bête (1945), Les Parents terribles (1949), Orphée (1950), Le Testament d’Orphée (1960).

Dans cette mosaïque hétéroclite, on retient avant tout que c’est vers la poésie, qu’on la trouve exprimée des poèmes en vers, dans l’écriture romanesque, voire de la mise en scène et du plan cinématographique, que Cocteau revient toujours.

On trouve dans l’art poétique de Cocteau un désir d’irrationalité, d’ensorcellement, mais aussi une poésie magique, notamment à travers la redécouverte de la Grèce et de ses mythes (avec le personnage d’Orphée). Cocteau déclare à ce sujet : « Je suis le mensonge qui dit toujours la vérité. »

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Violaine Epitalon

Violaine Epitalon

Violaine Epitalon est journaliste, titulaire d'un Master en lettres classiques et en littérature comparée et spécialisée en linguistique, philosophie antique et anecdotes abracadabrantesques.

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