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Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques : L’apparition de l’ombre de Samuël

Méditations Poértiques Alphonse de Lamartine

Méditations poétiques est le premier recueil de poèmes d'Alphonse de Lamartine, publié en 1820. La première édition comportait 24 poèmes. D'autres éditions suivirent ; celle de 1849 comportait alors 41 poèmes. Ce recueil marque l'aboutissement d'un courant de poésie élégiaque caractérisé par de nombreuses allusions mythologiques, une tonalité exclamative, des interrogations ainsi qu'une abondance de périphrases poétiques.

Pour citer l'œuvre : Œuvres complètes de Lamartine Chez l’auteur, 1860, 1 (p. 433-440).

DIX-HUITIÈME

MÉDITATION



L’APPARITION DE L’OMBRE DE SAMUEL À SAÜL

FRAGMENT DRAMATIQUE




SAÜL, LA PYTHONISSE D’ENDOR

SAÜL, seul.

Peut-être… puisqu’enfin je puis le consulter,
Le ciel peut-être est las de me persécuter !
À mes yeux dessillés la vérité va luire.
Mais au livre du sort, ô Dieu, que vont-ils lire ?
De ce livre fatal, qui s’explique trop tôt,
Chaque jour, chaque instant, hélas ! révèle un mot.

Pourquoi donc devancer le temps qui nous l’apporte ?
Pourquoi dans cet abîme, avant l’heure… ? N’importe !
C’est trop, c’est trop longtemps attendre dans la nuit
Les invisibles coups du bras qui me poursuit :
J’aime mieux, déroulant la trame infortunée,
Y lire, d’un seul trait, toute ma destinée.

La Pytonisse d’Endor entre sur la scène.

Est-ce toi qui, portant l’avenir dans ton sein,
Viens au roi d’Israël annoncer son destin ?


LA PYTHONISSE.

C’est moi.


SAÜL.

C’est moi.Qui donc es-tu ?


LA PYTHONISSE.

C’est moi. Qui donc es-tu ?La voix du Dieu suprême.


SAÜL.

Tremble de me tromper !


LA PYTHONISSE.

Tremble de me tromper !Saül, tremble toi-même !


SAÜL.

Eh bien ! qu’apportes-tu ?


LA PYTHONISSE.

Eh bien ! qu’apportes-tu ?Ton arrêt.


SAÜL.

Eh bien ! qu’apportes-tu ? Ton arrêt.Parle.


LA PYTHONISSE.

Eh bien ! qu’apportes-tu ? Ton arrêt. Parle.Ô ciel !
Pourquoi m’as-tu choisie entre tout Israël ?
Mon cœur est faible, ô ciel ! et mon sexe est timide.
Choisis pour ton organe un sein plus intrépide.
Pour annoncer au roi tes divines fureurs,
Qui suis-je ?


SAÜL, étonné.

Qui suis-je ?Ta main tremble ! et tu verses des pleurs !
Quoi ! ministre du ciel, tu n’es plus qu’une femme !


LA PYTHONISSE.

Détruis donc, ô mon Dieu, la pitié dans mon âme !


SAÜL.

Par tes feintes terreurs penses-tu m’ébranler ?


LA PYTHONISSE.

Mais ma bouche, ô mon roi, se refuse à parler.


SAÜL, avec colère.

Tes lenteurs, à la fin, lassent ma patience :
Parle, si tu le peux ; ou sors de ma présence !


LA PYTHONISSE.

Que ne puis-je sortir, emportant avec moi
Tout ce qu’ici je viens prophétiser sur toi !
Mais un Dieu me retient, me pousse, me ramène ;
Je ne puis résister à son bras qui m’entraîne.
Oui, je sens ta présence, ô Dieu persécuteur !
Et ta fureur divine a passé dans mon cœur.

Avec plus d’horreur.

Mais quel rayon sanglant vient frapper ma paupière !
Mon œil épouvanté cherche et fuit la lumière !
Silence !… l’avenir ouvre ses noirs secrets !
Quel chaos de malheurs, de vertus, de forfaits !
Dans la confusion je les vois tous ensemble !
Comment, comment saisir le fil qui les rassemble ?
Saül… Michol… David… Malheureux Jonathas !
Arrête ! arrête, ô roi ! ne m’interroge pas.


SAÜL, tremblant.

Que dis-tu de David, de Jonathas ? achève !


LA PYTHONISSE, montrant du doigt une ombre.

Oui, l’ombre se dissipe et le voile se lève,
C’est lui !


SAÜL.

C’est lui !Qui donc ?


LA PYTHONISSE.

C’est lui ! Qui donc ?David !…


SAÜL.

C’est lui ! Qui donc ? David !…Eh bien ?


LA PYTHONISSE.

C’est lui ! Qui donc ? David !…Eh bien ?Il est vainqueur !
Quel triomphe, ô David ! que d’éclat t’environne !
Que vois-je sur ton front ?


SAÜL.

Que vois-je sur ton front ?Achève !


LA PYTHONISSE.

Que vois-je sur ton front ? Achève !Une couronne !


SAÜL.

Perfide ! Qu’as-tu dit ? Lui, David, couronné ?


LA PYTHONISSE, avec tristesse.

Hélas ! et tu péris, jeune homme infortuné !
Et pour pleurer ton sort, belle et tendre victime,
Les palmiers de Cadès ont incliné leur cime !…
Grâce ! grâce, ô mon Dieu ! détourne tes fureurs !
Saül a bien assez de ses propres malheurs…
Mais la mort l’a frappé, sans pitié pour ses charmes,
Hélas ! et David même en a versé des larmes !


SAÜL.

Silence ! c’est assez : j’en ai trop écouté.


LA PYTHONISSE.

Saül, pour tes forfaits ton fils est rejeté.
D’un prince condamné Dieu détourne sa face,
D’un souffle de sa bouche il dissipe sa race :
Le sceptre est arraché !…


SAÜL, l’interrompant avec violence.

Le sceptre est arraché !…Tais-toi, dis-je, tais-toi !


LA PYTHONISSE.

Saül, Saül, écoute un Dieu plus fort que moi !
Le sceptre est arraché de tes mains sans défense ;
Le sceptre dans Juda passe avec ta puissance,
Et ces biens par Dieu même à ta race promis,
Transportés à David, passent tous à ses fils.
Que David est brillant ! que son triomphe est juste !
Qu’il sort de rejetons de cette tige auguste !
Que vois-je ? un Dieu lui-même !… Ô vierges du saint lieu,
Chantez, chantez David ! David enfante un Dieu !…


SAÜL.

Ton audace, à la fin, a comblé la mesure :
Va, tout respire en toi la fourbe et l’imposture.
Dieu m’a promis le trône, et Dieu ne trompe pas.


LA PYTHONISSE.

Dieu promet ses fureurs à des princes ingrats.


SAÜL.

Crois-tu qu’impunément ta bouche ici m’outrage ?


LA PYTHONISSE.

Crois-tu faire d’un Dieu varier le langage ?


SAÜL.

Sais-tu quel sort t’attend ? sais-tu…


LA PYTHONISSE.

Sais-tu quel sort t’attend ? sais-tu…Ce que je sais,
C’est que ton propre bras va punir tes forfaits ;
Et qu’avant que des cieux le flambeau se retire,
Un Dieu justifiera tout ce qu’un Dieu m’inspire.
Adieu, malheureux père ! adieu, malheureux roi !

Elle se retire ; Saül la retient par force.


SAÜL.

Non, non, perfide, arrête ! écoute, et réponds-moi.
C’est souffrir trop longtemps l’insolence et l’injure :
Je veux convaincre ici ta bouche d’imposture.
Si le ciel à tes yeux a su les révéler,
Quels sont donc ces forfaits dont tu m’oses parler ?


LA PYTHONISSE.

L’ombre les a couverts, l’ombre les couvre encore,
Saül ; mais le ciel voit ce que la terre ignore.
Ne tente pas le ciel.


SAÜL.

Ne tente pas le ciel.Non : parle, si tu sais.


LA PYTHONISSE.

L’ombre de Samuel te dira ces forfaits…


SAÜL.

Samuel ! Samuel ! Hé quoi ! que veux-tu dire ?


LA PYTHONISSE.

Toi-même, en traits de sang, ne peux-tu pas le lire ?


SAÜL.

Eh bien, qu’a de commun ce Samuel et moi ?


LA PYTHONISSE.

Qui plongea dans son sein ce fer sanglant ?


SAÜL.

Qui plongea dans son sein ce fer sanglant ?Qui ?


LA PYTHONISSE.

Qui plongea dans son sein ce fer sanglant ? Qui ?Toi !


SAÜL, furieux, se précipitant sur elle avec sa lance.

Monstre, qu’a trop longtemps épargné ma clémence,
Ton audace, à la fin, appelle ma vengeance !

Prêt à la frapper.

Tiens, va dire à ton Dieu, va dire à Samuel
Comment Saül punit ton imposture…

Comment SaülAu moment où il va frapper, il voit l’ombre de Samuel ; il laisse tomber      la lance, il recule.

Comment Saül punit ton imposture…Ô ciel !

Ciel ! que vois-je ? C’est toi ! c’est ton ombre sanglante !
Quel regard !… Son aspect m’a glacé d’épouvante.
Pardonne, ombre fatale ! oh ! pardonne ! Oui, c’est moi.
C’est moi qui t’ai porté tous ces coups que je voi !
Quoi ! depuis si longtemps ! quoi ! ton sang coule encore !
Viens-tu pour le venger ?… Tiens…

Il découvre sa poitrine, et tombe à genoux.

Viens-tu pour le venger ?… Tiens…Mais il s’évapore !…

La Pythonisse disparaît pendant ces derniers mots.




Commentaire de texte d'Alphonse de Lamartine : L’apparition de l’ombre de Samuël

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L'auteur : Alphonse de Lamartine

Lamartine

Alphonse de Lamartine (1790-1869) est un poète, romancier, dramaturge français, ainsi qu'une personnalité politique qui participa à la Révolution de février 1848 et proclama la Deuxième République. Il est l'une des grandes figures du romantisme en France.

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