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Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques : L’Ange

Méditations Poértiques Alphonse de Lamartine

Méditations poétiques est le premier recueil de poèmes d'Alphonse de Lamartine, publié en 1820. La première édition comportait 24 poèmes. D'autres éditions suivirent ; celle de 1849 comportait alors 41 poèmes. Ce recueil marque l'aboutissement d'un courant de poésie élégiaque caractérisé par de nombreuses allusions mythologiques, une tonalité exclamative, des interrogations ainsi qu'une abondance de périphrases poétiques.

Pour citer l'œuvre : Œuvres complètes de Lamartine Chez l’auteur, 1860, 1 (p. 425-431).

DIX-SEPTIÈME

MÉDITATION



L’ANGE



FRAGMENT ÉPIQUE

Dieu se lève, et soudain sa voix terrible appelle
De ses ordres secrets un ministre fidèle,
Un de ces esprits purs qui sont chargés par lui
De servir aux humains de conseil et d’appui,
De lui porter leurs vœux sur leurs ailes de flamme,
De veiller sur leur vie, et de garder leur âme.
Tout mortel a le sien : cet ange protecteur,
Cet invisible ami veille autour de son cœur,

L’inspire, le conduit, le relève s’il tombe,
Le reçoit au berceau, l’accompagne à la tombe,
Et, portant dans les cieux son âme entre ses mains,
La présente en tremblant au juge des humains.
C’est ainsi qu’entre l’homme et Jéhovah lui-même,
Entre le pur néant et la grandeur suprême,
D’êtres inaperçus une chaîne sans fin
Réunit l’homme à l’ange, et l’ange au séraphin ;
C’est ainsi que, peuplant l’étendue infinie,
Dieu répandit partout l’esprit, l’âme et la vie,

Au son de cette voix qui fait trembler le ciel,
S’élance devant Dieu l’archange Ithuriel :
C’est lui qui du héros est le céleste guide,
Et qui pendant sa vie à ses destins préside.
Sur les marches du trône, où de la Trinité
Brille au plus haut des cieux la triple majesté,
L’Esprit, épouvanté de la splendeur divine,
Dans un saint tremblement soudain monte et s’incline,
Et du voile éclatant de ses deux ailes d’or
Du céleste regard s’ombrage, et tremble encor.
Mais Dieu, voilant pour lui sa clarté dévorante,
Modère les accents de sa voix éclatante,
Se penche sur son trône, et lui parle : soudain
Tout le ciel, attentif au Verbe souverain,
Suspend les chants sacrés, et la cour immortelle
S’apprête à recueillir la parole éternelle.
Pour la première fois, sous la voûte des cieux,
Cessa des chérubins le chœur harmonieux :
On n’entendit alors, dans les saintes demeures,
Que le bruit cadencé du char léger des heures,
Qui, des jours éternels mesurant l’heureux cours,
Dans un cercle sans fin fuit et revient toujours ;

On n’entendit alors que la sourde harmonie
Des sphères poursuivant leur course indéfinie,
Et des astres pieux le murmure d’amour,
Qui vient mourir au seuil du céleste séjour.

Mais en vain dans le ciel les chœurs sacrés se turent ;
Autour du trône en vain tous les saints accoururent :
L’archange entendit seul les ordres du Très-Haut.
Il s’incline, il adore, il s’élance aussitôt.

Telle qu’au sein des nuits une étoile tombante,
Se détachant soudain de la voûte éclatante,
Glisse, et, d’un trait de feu fendant l’obscurité,
Vient au bord des marais éteindre sa clarté ;
Tel, d’un vol lumineux et d’une aile assurée,
L’ardent Ithuriel fend la plaine azurée.
À peine il a franchi ces déserts enflammés
Que la main du Très-Haut de soleils a semés,
Il ralentit son vol, et, comme un aigle immense,
Sur son aile immobile un instant se balance :
Il craint que la clarté des célestes rayons
Ne trahisse son vol aux yeux des nations,
Et, secouant trois fois ses ailes immortelles,
Trois fois en fait jaillir des gerbes d’étincelles.
Le nocturne pasteur, qui compte dans les cieux
Les astres tant de fois nommés par ses aïeux,
Se trouble, et croit que Dieu, de nouvelles étoiles,
A de l’antique nuit semé les sombres voiles.

Mais, pour tromper les yeux, l’archange essaye en vain
De dépouiller l’éclat de ce reflet divin ;

L’immortelle clarté dont son aile est empreinte
L’accompagne au delà de la céleste enceinte ;
Et ces rayons du ciel dont il est pénétré,
Se détachant de lui, pâlissent par degré.
Ainsi le globe ardent que l’ange des batailles
Inventa pour briser les tours et les murailles,
Sur ses ailes de feu projeté dans les airs,
Trace au sein de la nuit de sinistres éclairs :
Immobile un moment au haut de sa carrière,
Il pâlit, il retombe en perdant sa lumière ;
Tous les yeux avec lui dans les airs suspendus
Le cherchent dans l’espace, et ne le trouvent plus.

· · · · · · · · · · · · · · ·
· · · · · · · · · · · · · · ·

C’était l’heure où la Nuit, de ses paisibles mains,
Répand le doux sommeil, ce nectar des humains.
Le fleuve, déroulant ses vagues fugitives,
Réfléchissait les feux allumés sur ses rives,
Ces feux abandonnés, dont les débris mouvants
Pâlissaient, renaissaient, mouraient au gré des vents ;
D’une antique forêt le ténébreux ombrage
Couvrait au loin la plaine et bordait le rivage :
Là, sous l’abri sacré du chêne aimé des Francs,
Clovis avait planté ses pavillons errants.
Les vents par intervalle agitant les armures,
En tiraient dans la nuit de belliqueux murmures ;
L’astre aux rayons d’argent, se levant dans les cieux,
Répandait sur le camp son jour mystérieux,
Et, se réfléchissant sur l’acier des trophées,
Jetait dans la forêt des lueurs étouffées :
Tels brillent dans la nuit, à travers les rameaux,
Les feux tremblants du ciel réfléchis dans les eaux.

Le messager divin s’avance vers la tente
Où Clovis, qu’entourait sa garde vigilante,
Commençait à goûter les nocturnes pavots :
Clodomir et Lisois, compagnons du héros,
Debout devant la tente, appuyés sur leur lance,
Gardaient l’auguste seuil, et veillaient en silence.
Mais de la palme d’or qui brille dans sa main
L’ange, en touchant leurs yeux, les assoupit soudain :
Ils tombent ; de leur main la lance échappe et roule,
Et sous son pied divin l’ange en passant les foule.

Du pavillon royal il franchit les degrés.
Sur la peau d’un lion, dont les ongles dorés
Retombaient aux deux bords de sa couche d’ivoire,
Clovis dormait, bercé par des songes de gloire.
L’ange, de sa beauté, de sa grâce étonné,
Contemple avec amour ce front prédestiné :
Il s’approche, il retient son haleine divine,
Et sur le lit du prince en souriant s’incline.
Telle une jeune mère, au milieu de la nuit,
De son lit nuptial sortant au moindre bruit,
Une lampe à la main, sur un pied suspendue,
Vole à son premier-né, tremblant d’être entendue,
Et, pour calmer l’effroi qui la faisait frémir,
En silence longtemps le regarde dormir ;
Tel des ordres d’en haut l’exécuteur fidèle,
Se penchant sur Clovis, l’ombrageait de son aile.
Sur le front du héros il impose ses mains :
Soudain, par un pouvoir ignoré des humains,
Dénouant sans efforts les liens de la vie,
Des entraves des sens son âme se délie :
L’ange, qui la reçoit, dirige son essor,
Et le corps du héros paraît dormir encor.

Dans l’astre au front changeant, dont la forme inégale
Grandissant, décroissant, mourant par intervalle,
Prête ou retire aux nuits ses limpides rayons,
L’Éternel étendit d’immenses régions,
Où, des êtres réels images symboliques,
Les Songes ont bâti leurs palais fantastiques.
Sortis demi-formés des mains du Tout-Puissant,
Ils tiennent à la fois de l’être et du néant :
Un souffle aérien est toute leur essence,
Et leur vie est à peine une ombre d’existence ;
Aucune forme fixe, aucun contour précis,
N’indiquèrent jamais ces êtres indécis ;
Mais ils sont, aux regards du Dieu qui les fit naître,
L’image du possible et les ombres de l’être.
La matière et le temps sont soumis à leurs lois.
Revêtus tour à tour de formes de leur choix,
Tantôt de ce qui fut ils rendent les images ;
Et tantôt, s’élançant dans le lointain des âges,
Tous les êtres futurs, au néant arrachés,
Apparaissent d’avance en leurs jeux ébauchés.

Quand la nuit des mortels a fermé la paupière,
Sur les pâles rayons de l’astre du mystère
Ils glissent en silence, et leurs nombreux essaims
Ravissent au sommeil les âmes des humains,
Et, les portant d’un trait à leurs palais magiques,
Font éclore à leurs yeux des mondes fantastiques.
De leur globe natal les divers éléments,
Subissant à leur voix d’éternels changements,
Ne sont jamais fixés dans des formes prescrites,
Ne connaissent ni lois, ni repos, ni limites ;
Mais sans cesse en travail, l’un par l’autre pressés,
Séparés, confondus, attirés, repoussés,

Comme des flots mouvants d’une mer en furie,
Leur forme insaisissable à chaque instant varie :
Où des fleuves coulaient, où mugissaient des mers,
Des sommets escarpés s’élancent dans les airs ;
Soudain dans les vallons les montagnes descendent,
Sur leurs flancs décharnés des champs féconds s’étendent,
Qui, changés aussitôt en immenses déserts,
S’abîment à grand bruit dans des gouffres ouverts.
Des cités, des palais et des temples superbes
S’élèvent, et soudain sont cachés sous les herbes ;
Tout change, et les cités, et les monts, et les eaux,
S’y déroulent sans terme en horizons nouveaux :
Tel roulait le chaos dans les déserts du vide,
Lorsque Dieu, séparant la terre du fluide,
De la confusion des éléments divers
Son regard créateur vit sortir l’univers.

C’est là qu’Ithuriel, sur son aile brillante,
Du héros endormi portait l’âme tremblante.
À peine il a touché ces bords mystérieux,
L’ombre de l’avenir éclôt devant ses yeux :
L’ange l’y précipite ; et son âme étonnée
Parcourt en un clin d’œil l’immense destinée.




Commentaire de texte d'Alphonse de Lamartine : L’Ange

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L'auteur : Alphonse de Lamartine

Lamartine

Alphonse de Lamartine (1790-1869) est un poète, romancier, dramaturge français, ainsi qu'une personnalité politique qui participa à la Révolution de février 1848 et proclama la Deuxième République. Il est l'une des grandes figures du romantisme en France.

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