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Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal : Les Litanies de Satan

les fleurs du mal Charles Baudelaire

Les Fleurs du mal est un recueil de poèmes de Charles Baudelaire, englobant la quasi-totalité de sa production en vers, de 1840 jusqu'à sa mort survenue fin août 1867. Publié le 25 juin 1857, le livre scandalise aussitôt la société contemporaine, conformiste et soucieuse de respectabilité. C'est une œuvre majeure de la poésie moderne. Ses 163 pièces rompent avec le style convenu. Elle rajeunit la structure du vers par l'usage régulier d'enjambements, de rejets et de contre-rejets. Elle rénove la forme rigide du sonnet.

Ce poème est dans la section « Révolte ».

Pour citer l'œuvre : Les Fleurs du mal (1868) Michel Lévy frèresŒuvres complètes, vol. I (p. 332-335).

CXLV

LES LITANIES DE SATAN


Ô toi, le plus savant et le plus beau des Anges,
Dieu trahi par le sort et privé de louanges,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Ô Prince de l’exil, à qui l’on a fait tort,
Et qui, vaincu, toujours te redresses plus fort,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui sais tout, grand roi des choses souterraines,
Guérisseur familier des angoisses humaines,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui, même aux lépreux, aux parias maudits,
Enseignes par l’amour le goût du Paradis,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !


Ô toi qui de la Mort, ta vieille et forte amante,
Engendras l’Espérance, — une folle charmante !

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui fais au proscrit ce regard calme et haut
Qui damne tout un peuple autour d’un échafaud,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui sais en quels coins des terres envieuses
Le Dieu jaloux cacha les pierres précieuses,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi dont l’œil clair connaît les profonds arsenaux
Où dort enseveli le peuple des métaux,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi dont la large main cache les précipices
Au somnambule errant au bord des édifices,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui, magiquement, assouplis les vieux os
De l’ivrogne attardé foulé par les chevaux,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !


Toi qui, pour consoler l’homme frêle qui souffre,
Nous appris à mêler le salpêtre et le soufre,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui poses ta marque, ô complice subtil,
Sur le front du Crésus impitoyable et vil,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui mets dans les yeux et dans le cœur des filles
Le culte de la plaie et l’amour des guenilles,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Bâton des exilés, lampe des inventeurs,
Confesseur des pendus et des conspirateurs,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !

Père adoptif de ceux qu’en sa noire colère
Du paradis terrestre a chassés Dieu le Père,

Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !


PRIÈRE


Gloire et louage à toi, Satan, dans les hauteurs
Du Ciel, où tu régnas, et dans les profondeurs
De l’Enfer, où, vaincu, tu rêves en silence !
Fais que mon âme un jour, sous l’Arbre de Science,
Près de toi se repose, à l’heure où sur ton front
Comme un Temple nouveau ses rameaux s’épandront !

Commentaire de texte de Charles Baudelaire : Les Litanies de Satan

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L'auteur : Charles Baudelaire

Charles Baudelaire est un poète français. Né à Paris le 9 avril 1821, il meurt dans la même ville le 31 août 1867. À la croisée entre le Parnasse et le symbolisme, chantre de la « modernité », il occupe une place considérable parmi les poètes français. Les Fleurs du mal (1857) et Les Paradis artificiels (1860) sont ses deux recueils de poésie les plus connus.

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