Accueil > Citations > Citations sur le sans
Citations sur le sans - Page 2
Il y a 26043 citations sur le sans.
-
Natán se promenait sur la plage en lisière de la ville, saturée d'une infinie variété de coquillages qui évoquaient pour lui les vestiges d'une vie qui s'était muée en détritus : beaux et singuliers sans doute, mais détritus quand même. Dans ce matin d'hiver, la longue frange de sable était déserte. Les villas, séparées de la plage par des clôtures et des murs où étincelaient les panneaux Private Propriety et Keep Off, donnaient aussi l'impression de demeures inhabitées. Seuls les oiseaux perchés sur les branches et les pélicans flottant dans la mer rappelaient le mouvement des êtres vivants.
Un pont dans la nuit, Carlos Victoria (trad. Liliane Hasson), éd. Phébus, 2007 (ISBN 275290231X), p. 128 -
Faux-fuyants : dans les cas de vouloir sans pouvoir. Dire que les Dieux ne vous l'accordent pas. Nier prudemment et bravement Mme Vénus. Croire le Christ encore vivant. Faux-fuyants.
Journal (1957), Paul Klee, éd. Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 1959 (ISBN 978-2-246-27913-6), Journal III, p. 147 -
Si marginale que soit l'épigraphe, elle constitue un élément important de l'objet littéraire. Lorsque le lecteur s'empare d'un volume, il franchit parfois d'incommensurables distances d'espace et de temps –(...). Bien souvent les premières lignes le jettent dans un trouble qui n'aura de cesse qu'après plusieurs pages d'acclimatation et d'éventuels recours à des encyclopédies, des histoires de la littérature ou des études sur l'œuvre. Mais il arrive aussi que l'auteur le ménage par une attention introductive, ou qu'il précède son trouble et l'amplifie par l'inscription d'un message volontairement déroutant. L'épigraphe joue ainsi un rôle de tampon ( Tampon-encreur ), ou d'interface, entre le titre et le texte qui le porte. Ce corps étranger, cette pièce rapportée et insérée là devient un élément aux vertus imprévisibles – et l'on peut saluer, sans la partager, la sagesse de ceux qui ne lisent jamais les épigraphes.
« En lisant les épigraphes de Claude Simon », dans Études françaises (Revue de la section de littérature française, n°3, Patrick Rebollar, éd. Tokyo, Université Waseda, 1996, p. 164 -
Dans une épigraphe, l'essentiel bien souvent n'est pas ce qu'elle dit, mais l'identité de son auteur, et l'effet de caution indirecte que sa présence détermine à l'orée d'un texte – caution moins coûteuse en général que celle d'une préface, et même que d'une dédicace, puisqu'on peut l'obtenir sans en solliciter l'autorisation.
Seuils, Gérard Genette, éd. Seuil, 1987, p. 147 -
Travail des enfants, chômage, bulle financière, changement du climat, grippe du poulet, pétrolier qui s'éventre dans l'océan, tous ces fléaux n'auraient qu'une seule origine, le libéralisme et ses suppôts sanguinaires. L'hystérie est devenue telle en France que tout évènement, fût-il majeur comme le référendum sur la constitution européenne, ou anecdotique, comme la privatisation de cette malheureuse SNCM, suscite désormais la croisade antilibérale. On y voit la gauche et la droite un instant réconciliées pou planter des hallebardes sur l'"anglo-saxon". Inutile de préciser qu'en tête se trouve le professionnel des causes sans risques, Jacques Chirac
« Le pays qui ne voulait pas changer », François Lenglet, Enjeux Les Échos, nº 04369, Novembre 2005, p. 9 -
[Les héros de la tradtion juive] sont ce que Derrida appelait «le dernier des juifs» au sens de «dernier des cons» ! Ils sont toujours in and out, ils appartiennent et n’appartiennent pas tout à la fois. Ils sont sans cesse en train de s’arracher au monde qui les a vu naître. Ils sont donc des héritiers fidèles car ils se décrochent de leur appartenance première ! C’est vrai d’Abraham, de Jacob, des prophètes et des héros que l’on encense : ils sont vulnérables et ne sont pas toujours des modèles ! [...] [la littérature juive] met un point d’honneur à rendre ses héros faillibles. Cela a un grand avantage : le lecteur peut s’identifier plus facilement. On est ainsi plus proche de l’anti-héros et de ses petits (ou grands) travers que d’une figure parfaite, réputée infaillible, comme on en trouve souvent dans le Coran. Voyez plutôt : les Juifs n’ont aucun problème à dire que Noé n’était pas un super type, que Moïse s’est révélé être un mauvais père et un mauvais mari, que le roi David s’est lui-même trompé en plusieurs occasions… La littérature juive tire de cela un message puissant : c’est parce que ces héros sont faillibles, parce qu’ils se trouvent être peu qualifiés pour le rôle qu’on leur attribue qu’ils peuvent accéder à la fonction… Isaac est aveugle ? Il se retrouve visionnaire ! Jacob boîte ? Il incarnera la verticalité ! La leçon est la suivante : on n’a jamais fini de dire qui on peut être ! Cela brise donc l’obsession de l’identité pure, du retour à l’authenticité à tout prix comme elle est en vogue aujourd’hui…
Propos recueillis par Laurent David Samama -
La vieille idée persiste de l'athée immoral, amoral, sans foi ni loi éthique (...) en vertu de quoi "si Dieu n'existe pas, alors tout est permis".
Traité d'athéologie, Michel Onfray, éd. Livre de Poche, 2006 (ISBN 2-253-11557-6), p. 73 -
Les dragons sont des voleurs d'or et de joyaux, vous le savez ; ils pillent tout ce qu'ils peuvent trouver, que ce soit chez les hommes, les elfes ou les nains, et ils gardent jalousement leur trésor pour le restant de leurs jours (qui sont pratiquement infinis, à moins qu'on les tue), sans jamais profiter du moindre colifichet.
Les nains -
Ce n'est pas chose insignifiante que de voir s'effondrer, chez un être humain, l'attitude et les structures conscientes. C'est en petit une véritable fin du monde, le sujet a l'impression que tous les éléments qui constituaient sa vie retombent dans une manière de chaos originel. Il se sent abandonné, désorienté, vulnérable à l'extrême, tel un navire sans gouvernail et livré aux fureurs des éléments. C'est du moins ce qui semble être et l'impression qu'il en a. L'expérience montre que la réalité est un peu différente : en fait, l'être, abandonné par son conscient, est retombé dans ses plans inconscients collectifs, auxquels il est livré.
Dialectique du Moi et de l'inconscient (1933), Carl Gustav Jung (trad. Docteur Roland Cahen), éd. Gallimard, coll. « Folio Essais », 1964 (ISBN 2-07-032372-2), partie I. Des effets de l'inconscient sur le conscient, chap. IV. Tentatives pour extraire et libérer l'individualité de la psyché collective, La reconstitution régressive de la persona, p. 92 -
Elle me dit, d'un ton timide, qu'elle confessait que son infidélité méritait ma haine ; mais que, s'il était vrai que j'eusse jamais eu quelque tendresse pour elle, il y avait eu, aussi, bien de la dureté à laisser passer deux ans sans prendre soin de m'informer de son sort et qu'il y en avait beaucoup encore à la voir dans l'état où elle était en ma présence, sans lui dire une parole. Le désordre de mon âme, en l'écoutant, ne saurait être exprimé. Elle s'assit. Je demeurai debout, le corps à demi tourné, n'osant l'envisager directement. Je commençai plusieurs fois une réponse, que je n'eus pas la force d'achever. Enfin, je fis un effort pour m'écrier douloureusement : - Perfide Manon ! Ah ! perfide ! perfide !
Abbé Antoine Prévost — Manon Lescaut -
On ne peut réfléchir sur les préceptes de la morale, sans être étonné de les voir tout à la fois estimés et négligés.
Abbé Antoine Prévost — Manon Lescaut -
Mon âme ne suivit pas la sienne. Le Ciel ne me trouva point, sans doute, assez rigoureusement puni. Il a voulu que j'aie traîné, depuis, une vie languissante et misérable. Je renonce volontairement à la mener jamais plus heureuse.
Abbé Antoine Prévost — Manon Lescaut -
Lorsque nous nous vîmes si proche de Paris, c'est-à-dire presque en sûreté, nous prîmes le temps de nous rafraîchir, n'ayant rien mangé depuis notre départ d'Amiens. Quelque passionné que je fusse pour Manon, elle sut me persuader qu'elle ne l'était pas moins pour moi. Nous étions si peu réservés dans nos caresses que nous n'avions pas la patience d'attendre que nous fussions seuls. Nos hôtes et nos postillons nous regardaient avec admiration et je remarquai qu'ils étaient surpris de voir deux enfants de notre âge qui paraissaient s'aimer jusqu'à la fureur. Nos projets de mariage furent oubliés à Saint-Denis. Nous fraudâmes les droits de l'Eglise, et nous nous trouvâmes époux sans y avoir fait réflexion.
Abbé Antoine Prévost — Manon Lescaut -
Mademoiselle, mademoiselle, lui dit-il, avec un sourire forcé, j'ouvre en effet les yeux, et je vous trouve bien moins novice que je ne me l'étais figuré. Il se retira aussitôt sans jeter les yeux sur elle, en ajoutant, d'une voix plus basse, que les femmes de France ne valaient pas mieux que celles d'Italie.
Abbé Antoine Prévost — Manon Lescaut -
J' éprouvai alors qu' on peut aimer l' argent sans être avare .
Abbé Antoine Prévost — Manon Lescaut -
Il demeura quelque temps à me considérer sans me répondre. Comme je n'en avais pas à perdre, je repris la parole pour lui dire que j'étais fort touché de ses bontés ; mais que la liberté étant le plus cher de tous les biens, surtout à moi, à qui on la ravissait injustement, j'étais résolu de me la procurer cette nuit même à quelque prix que ce fût ; et de peur qu'il ne lui prît envie d'élever la voix pour appeler au secours, je lui fis voir une honnête raison de silence que je tenais sous mon justaucorps. Un pistolet ! me dit-il. Quoi, mon fils ! vous voulez m'ôter la vie, pour reconnaître la considération que j'ai eue pour vous ?
Abbé Antoine Prévost — Manon Lescaut -
Elle pèche sans malice, disais-je en moi même; elle est légère et imprudente, mais elle est droite et sincère. Ajoutez que l'amour suffisait seul pour me fermer les yeux sur toutes ses fautes.
Abbé Antoine Prévost — Manon Lescaut -
Je sens bien que je n'ai jamais mérité ce prodigieux attachement que vous avez pour moi. Je vous ai causé des chagrins, que vous n'avez pu me pardonnez sans une bonté extrême. J'ai été légère et volage, et même en vous aimant éperdument , comme je l'ai toujours fait, je n'étais qu'une ingrate. Mais vous ne sauriez croire combien je suis changée. Mes larmes, que vous avez vu couler si souvent depuis notre départ de France, n'ont pas eu une seule fois mes malheurs pour objet. J'ai cessé de les sentir aussitôt que vous avez commencé à les partager. Je n'ai pleuré que de tendresse et de compassion pour vous.
Abbé Antoine Prévost — Manon Lescaut -
Que prétendez-vous donc ? m'écriai-je encore. Je prétends mourir, répondit-elle, si vous ne me rendez votre coeur, sans lequel il est impossible que je vive. Demande donc ma vie, infidèle ! repris-je en versant moi-même des pleurs, que je m'efforçai en vain de retenir. Demande ma vie, qui est l'unique chose qui me reste à te sacrifier ; car mon coeur n'a jamais cessé d'être à toi.
Abbé Antoine Prévost — Manon Lescaut -
Il se retira aussitôt sans jeter les yeux sur elle, en ajoutant, d'une voix plus basse, que les femmes de France ne valaient pas mieux que celles d'ltalie.
Abbé Antoine Prévost — Manon Lescaut -
Je fis encore quelques pas vers la porte, en tournant la tête, et tenant les yeux fixés sur elle. Mais il aurait fallu que j'eusse perdu tous sentiments d'humanité pour m'endurcir contre tant de charmes. J'étais si éloigné d'avoir cette force barbare que, passant tout d'un coup à l'extrémité opposée, je retournai vers elle, ou plutôt, je m'y précipitai sans réflexion.
Abbé Antoine Prévost — Manon Lescaut -
Je demeurai plus de vingt-quatre heures la bouche attachée sur le visage et sur les mains de ma chère Manon. Mon dessein était d'y mourir; mais je fis réflexion, au commencement du second jour, que son corps serait exposé, après mon trépas, à devenir la pâture des bêtes sauvages. Je formai la résolution de l'enterrer et d'attendre la mort sur sa fosse. J'étais déjà si proche de ma fin, par l'affaiblissement que le jeûne et la douleur m'avaient causé, que j'eus besoin de quantité d'efforts pour me tenir debout. Je fus obligé de recourir aux liqueurs que j'avais apportées. Elles me rendirent autant de force qu'il en fallait pour le triste office que j'allais exécuter. Il ne m'était pas difficile d'ouvrir la terre, dans le lieu où je me trouvais. C'était une campagne couverte de sable. Je rompis mon épée, pour m'en servir à creuser, mais j'en tirai moins de secours que de mes mains. J'ouvris une large fosse. J'y plaçai l'idole de mon cœur après avoir pris soin de l'envelopper de tous mes habits, pour empêcher le sable de la toucher. Je ne la mis dans cet état qu'après l'avoir embrassée mille fois, avec toute l'ardeur du plus parfait amour. Je m'assis encore près d'elle. Je la considérai longtemps. Je ne pouvais me résoudre à fermer la fosse. Enfin, mes forces recommençant à s'affaiblir et craignant d'en manquer tout à fait avant la fin de mon entreprise, j'ensevelis pour toujours dans le sein de la terre ce qu'elle avait porté de plus parfait et de plus aimable. Je me couchai ensuite sur la fosse, le visage tourné vers le sable, et fermant les yeux avec le dessein de ne les ouvrir jamais, j'invoquai le secours du Ciel et j'attendis la mort avec impatience. Ce qui vous paraîtra difficile à croire, c'est que, pendant tout l'exercice de ce lugubre ministère, il ne sortit point une larme de mes yeux ni un soupir de ma bouche. La consternation profonde où j'étais et le dessein déterminé de mourir avaient coupé le cours à toutes les expressions du désespoir et de la douleur Aussi, ne demeurai-je pas longtemps dans la posture où j'étais sur la fosse, sans perdre le peu de connaissance et de sentiment qui me restait.
Abbé Antoine Prévost — Manon Lescaut -
Comme il n y avait rien, après tout, dans le gros de ma conduite, qui pût me déshonorer absolument, du moins en la mesurant sur celle des jeunes gens d'un certain monde, et qu'une maîtresse ne passe point pour une infamie dans le siècle où nous sommes, non plus qu'un peu d'adresse à s'attirer la fortune du jeu, je fis sincèrement à mon père le détail de la vie que j'avais menée. A chaque faute dont je lui faisais l'aveu, j'avais soin de joindre des exemples célèbres, pour en diminuer la honte. Je vis avec une maîtresse, lui disais-je, sans être lié par les cérémonies du mariage : M. le duc de... en entretient deux, aux yeux de tout Paris ; M. de... en a une depuis dix ans, qu'il aime avec une fidélité qu'il n'a jamais eue pour sa femme ; les deux tiers des honnêtes gens de France se font honneur d'en avoir. J'ai usé de quelque supercherie au jeu : M. le marquis de... et le comte de... n'ont point d'autres revenus ; M. le prince de... et M. le duc de... sont les chefs d'une bande de chevaliers du même Ordre.
Abbé Antoine Prévost — Manon Lescaut -
La vie n'est pas le travail : travailler sans cesse rend fou.
Charles de Gaulle — Les Chênes qu'on abat -
Ennui sans fin de ces musées. Absurdité de ces tableaux alignés, par époques ou par lieux, les uns contre les autres, que personne à peu près ne sait plus lire, dont on ne sait pas pour la plupart déchiffrer le sens, moins encore trouver une réponse à la souffrance et à la mort. Morosités des sculptures qui n'offrent plus, comme autrefois, la statue d'un dieu ou d'un saint, la promesse d'une intercession. Dérision des formules et prétention des audaces esthétiques. Entrepôts des civilisations mortes. À quoi bon tant d'efforts, tant de science, tant d'ingéniosité pour les montrer ? Et puis désormais, la question, obsédante : pour qui et pour quoi ?
L'hiver de la culture, Jean Clair, éd. Flammarion, 2011 (ISBN 978-2-0812-5342-1), p. 52 -
Si l'œuvre, une fois reproduite, se voit privée de son aura, l'œuvre déplacée au musée perd son sens. Les musées fonctionnent comme des machines à transformer en faux les œuvres vraies qui y sont admises ; Les musées sont des entrepôts de faux que l'on voit sur les cimaises, décolorées et sans destination autre qu'une vague satisfaction esthétique, des œuvres qui avaient jadis la capacité de signifier quelque chose et, en outre, qui nous proposaient le bonheur de servir.
L'hiver de la culture, Jean Clair, éd. Flammarion, 2011 (ISBN 978-2-0812-5342-1), p. 121 -
Dans cette vie qui vous apparaît quelquefois comme un grand terrain vague sans poteau indicateur, au milieu de toutes les lignes de fuite et les horizons perdus, on aimerait trouver des points de repère, dresser une sorte de cadastre pour n'avoir plus l'impression de naviguer au hasard. Alors, on tisse des liens, on essaye de rendre plus stables des rencontres hasardeuses.
Patrick Modiano — Dans le café de la jeunesse perdue -
Je sais aussi, dit Candide, qu’il faut cultiver notre jardin. — Vous avez raison, dit Pangloss ; car, quand l’homme fut mis dans le jardin d’Éden, il y fut mis ut operaretur eum, pour qu’il travaillât : ce qui prouve que l’homme n’est pas né pour le repos. — Travaillons sans raisonner, dit Martin ; c’est le seul moyen de rendre la vie supportable.
Voltaire — Candide -
Faites l'expérience de vous dire sans cesse : j'étais là, je suis là, je serai toujours là, je suis avec moi jusqu'à la fin des temps, le ciel et la terre passeront, mais ma certitude ne passera pas. Le résultat est terrifiant ou comique. À moins de prendre tout ça à la légère, sur la pointe des pieds, de marcher sur l'eau, de voler. Regardez : j'ai l'air d'un boeuf mais je plane, je suis une mouette, un faucon, un héron. Ma vie est dans les fleurs, les marais, les vignes, les vagues. Je migre, je transmigre, je me réincarne au jugé. On m'enterre, je ressuscité ; on m'incinère, mes atomes persistent et se recomposent plus loin. Dans le monde humain, il m'arrive d'attendre longtemps avant de me reconnaître. J'ai des rêves, des attaques, des pressentiments, je fais des rencontres, je suis bien obligé d'admettre que je suis un autre, et soudain me revoilà,c'est plus fort que moi. Ici, il faut que je me parle doucement à mi-voix, comme quelqu'un qui a peur de réveiller des gens qui dorment et qu'il aime.
Philippe Sollers — Une vie divine -
Le nihiliste, à propos du génie : "Quel- que chose d'autre que lui vivait en lui, passait par lui, allait plus loin que lui, était très différent de lui", etc. Bref, sans cesse : lui n'était pas lui.
Philippe Sollers — Carnet de nuit -
Vous pensez sans doute que l’auteur exagère, vous allez me dire que personne n’a jamais vu des fleuves battre des mains, ni des montagnes crier de joie. Moi, si, mais je me garde bien de le dire. On me trouve assez fou comme ça. L’auteur est déchaîné, il veut que tout exulte et jubile. Il convoque des cors, des harpes, des cithares, des danseuses, des tambours, des cordes, des flûtes, des cymbales, bref « tout ce qui respire ». Qui a enregistré ces fêtes ? Tout n’a-t-il pas disparu ?
Philippe Sollers — Mouvement -
Freud s'est fait euthanasier avec l'accord de sa fille. Il n'en pouvait plus. Tout indique qu'il a quitté sans regret l'océan de la connerie humaine, transformée aujourd'hui en télé-irréalité. Kafka, au comble de la souffrance dit à son médecin : 《 Si vous ne me tuez pas, vous êtes un assassin. 》 La plupart des humains préfèrent la souffrance au néant. En revanche, des clandestins, pour ne pas parler sous la torture, se sont supprimés. Saluons-les.
Philippe Sollers — Centre -
Céline au Panthéon ? On voit bien que la question ne se pose pas et ne se posera jamais . Il y a des écrivains qui font consensus (ce n’est pas pour ça qu’on les lit comme il doivent être lus) et d’autres qui seront toujours l’objet de polémique : Céline est évidemment de ceux-là. Ce n’est pas pour ça qu’on le lit vraiment. L’argument des détracteurs est connu : l’antisémitisme revendiqué de Céline. Il est indéniable et, bien sûr, insoutenable. Mais est-ce une raison pour ne pas lire ? A ce jour, à l’exception de Mea Culpa, les célèbres pamphlets — Bagatelle pour un massacre (1937), L’École des cadavres (1938), Les beaux draps 1941) — ne sont pas réédités [3]. Dans un récent article du N.O., Jacques Drillon rappelait ces mots de Philippe Muray : « Notre époque veut ignorer que l’Histoire était cette somme d’erreurs considérables qui s’appellent la vie, et se berce de l’illusion que l’on peut supprimer l’erreur sans supprimer la vie. » Drillon ajoutait : « Si l’on ne peut pas lire les pamphlets antisémites de Céline, on ne pourra pas démonter son antisémitisme, ni même démontrer que Céline était antisémite. Or il l’était. Donc, trompés, nous mentirons à notre tour. »
Philippe Sollers -
Vous n'êtes en vie que parce que vous résistez sans arrêt au suicide de votre organisme. Familiarisez-vous avec cette vision. Elle change tout.
Philippe Sollers — Une vie divine -
Les vrais problèmes ne sont sans doute pas là où l'on croit... On met tout l'accent sur les problèmes de sexualité et de reproduction, mais on est beaucoup plus discret sur l'hygiène... On dirait que l'hygiène est plus tabou que le sexe... Vous n'avez pas idée à quel point, pour les femmes notamment, la simple propreté, la propreté élémentaire, est une chose récente...
Philippe Sollers — Femmes -
Werth n’en pouvait plus... Tout l’ennuyait, le fatiguait de plus en plus, le dégoûtait... Les demandes des uns, les supplications des autres ; l’atmosphère de malveillance implacable qui entoure la prostitution douce ; la niaiserie dépendante des garçons exigeant sans cesse d’être assistés, maternés, poussés, pistonnés... Pour quelques instants agréables (et encore), quel prix à payer... Téléphones, lettres, démarches, arbitrages... Conseils, indulgence à n’en plus finir, tutelle, pourboires déguisés... A ce jeu de la résignation, Werth était devenu une sorte de saint malgré lui, gardant quand même sa réserve ponctuée de soubresauts rageurs... Il ne vivait pas du tout son homosexualité comme le font la plupart, désormais, de façon triomphante, agressive, militante, dure, prononcée... L’obscénité en vitrine... Boîtes sado-maso, valse du cuir... Torses, poils, muscles, piscines d’argile, mer gluante... Floc-floc des râles et des grognements... La seule chose qui avait toujours fait peur à Werth, c’est que sa mère apprenne ses goûts par la presse... Qu’il y ait comme ça un scandale mettant en cause sa situation, d’ailleurs péniblement acquise, de grand professeur... Déjà, l’hostilité des collègues, l’inlassable calomnie des ratés universitaires... Rien à voir avec le gauchisme viril de Pasolini... Les sous-prolétaires dans le cambouis, sur la plage... Avec le risque d’assassinat au bout, c’est d’ailleurs ce qui a fini par arriver... Non, les Français sont plus réservés, que voulez-vous, ils souffrent de plus en plus, en demi-teintes... Proust dans une boîte de New York ? Charlus et Jupien dans les bains-douches directs de la 72e Rue ? Werth se battait, sans illusions, pour une sorte de sensualité atténuée, une variante d’épicurisme... Bouddhiste, japonisant, légèrement affaissé..
Philippe Sollers — Femmes -
La géographie mentale est sans limites, elle fleurit sans cesse au présent ...
Philippe Sollers — Légende -
Un lecteur, ou une lectrice, ouvre ce livre, le feuillette, le fait traduire, comprend vaguement que l'auteur a dû faire partie d'un complot subversif difficile à identifier. Les événements dont il est question sont lointains, on n'en garde qu'un souvenir contradictoire, la plupart des historiens les classent parmi les révoltes sans lendemain. Le narrateur commence par avoir envie de se suicider, ne le fait pas, rencontre une femme qui transforme son existence. Dora est une jeune et jolie veuve, avocate, dont le mari, disparu prématurément, possédait une vaste bibliothèque. Des livres anciens, des manuscrits rares, l'ouvre d'un collectionneur. [..] Il y a aussi une pianiste célèbre, Clara, une personnage mystérieux, François, ce dernier étant peut-être un espion chinois. Le ton général est très critique sur la société du temps de l'auteur, mais la société, au fond, à quelques transformations techniques près, est toujours la même. Les références chinoises abondent, ce qui est plutôt curieux pour un auteur occidental de cette période. Que veut-il Que cherche-t-il ? Le narrateur semble mener une vie clandestine organisée très libre, notamment sur le plan amoureux. Comme il pense à des tas de choses à la fois, son récit donne souvent l'impression d'une un tableau cubiste. Parfois on est perdu, mais on s'y retrouve toujours.
Philippe Sollers — Passion fixe -
Enfant, quand je m'efforçais de m'exprimer dans un langage châtié, j'avais l'impression de me jeter dans le vide. Une de mes frayeurs imaginaires, avoir un père instituteur qui m'aurait obligée à bien parler sans arrêt, en détachant les mots. On parlait avec toute la bouche.
Annie Ernaux — La place -
Elle est morte. J'ai une peine immense. Depuis ce matin, je pleure. Je ne sais pas ce qui est en train de se passer. Tout est là. Les comptes sont arrêtés, oui. On ne peut pas prévoir la douleur. Ce désir de la voir encore. Ce moment est arrivé sans que je l'aie imaginé, prévu. Je la préférais folle que morte.
Annie Ernaux — "Je ne suis pas sortie de ma nuit"