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Citations sur l'est - Page 1457
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Acqua Alta. La ville est à fleur d'eau, elle se laisse envahir par elle. C'est l'inondation, et il faut installer sur des tréteaux des passerelles de planches. Restons sur les quais, des bottes sont nécessaires, mais on peut aussi retrousser ses pantalons et marcher pieds nus dans cette prairie liquide. Tu enlèves tes souliers à talons, tu danses un peu. Tu te souviens ? La main dans la main près de l'église ? Comme on a ri au soleil ?
Philippe Sollers — Dictionnaire amoureux de Venise -
« La vie est un songe, merci de l’avoir rêvée » ….
Philippe Sollers — Femmes -
L'exil est une aventure pleine de péripéties plus ou moins tragiques.
Philippe Sollers — Le Nouveau -
La géographie mentale est sans limites, elle fleurit sans cesse au présent ...
Philippe Sollers — Légende -
Un lecteur, ou une lectrice, ouvre ce livre, le feuillette, le fait traduire, comprend vaguement que l'auteur a dû faire partie d'un complot subversif difficile à identifier. Les événements dont il est question sont lointains, on n'en garde qu'un souvenir contradictoire, la plupart des historiens les classent parmi les révoltes sans lendemain. Le narrateur commence par avoir envie de se suicider, ne le fait pas, rencontre une femme qui transforme son existence. Dora est une jeune et jolie veuve, avocate, dont le mari, disparu prématurément, possédait une vaste bibliothèque. Des livres anciens, des manuscrits rares, l'ouvre d'un collectionneur. [..] Il y a aussi une pianiste célèbre, Clara, une personnage mystérieux, François, ce dernier étant peut-être un espion chinois. Le ton général est très critique sur la société du temps de l'auteur, mais la société, au fond, à quelques transformations techniques près, est toujours la même. Les références chinoises abondent, ce qui est plutôt curieux pour un auteur occidental de cette période. Que veut-il Que cherche-t-il ? Le narrateur semble mener une vie clandestine organisée très libre, notamment sur le plan amoureux. Comme il pense à des tas de choses à la fois, son récit donne souvent l'impression d'une un tableau cubiste. Parfois on est perdu, mais on s'y retrouve toujours.
Philippe Sollers — Passion fixe -
Ludivine Sereni, bartleby /2 Cette rumeur serait-elle la basse et vile rumeur, la Fama, celle « qui remplit les peuples de mille bruits où elle annonçait également ce qui était arrivé et ce qui ne l’était pas » ? Ou bien est-elle celle dont parle Marcel Detienne dans l’Ecriture d’Orphée ? : A qui sait écouter, toute rumeur fait signe. C’est alors une voix ponctuelle, instantanée, comme un atome de rumeur constituée, de celle qui relayée de bouche en bouche et d’oreille en oreille, se métamorphose en récit formel déjà, chacun y ajoutant ou en retirant quelque chose, par une procédure inconsciente mais toujours en une création multiple. Si le consultant singulier peut donner un sens à une voix prélevée dans un essaim de sens, c’est assurément que les dieux ne cessent de faire signe aux hommes en leur envoyant des rêves, en leur dépêchant des vols d’oiseaux, des messages en même temps que des voix oraculaires. Toute rumeur, alors, trouve sa source dans le dieu sous le nom de Phémios comme l’aède au palais d’Ithaque. Et c’est auprès de Zeus que se tient docile et prête à partir la rumeur messagère, la puissance appelée ossa dont le nom est associé à une sorte de divination par les sons (otteia).(C’est moi qui souligne) J La rumeur veut que Bartleby ait travaillé un temps au service des Lettres au rebut. Ces lettres, messages de vie, qui courent vers la mort, sont pour l’éternité repliées sur elles-mêmes. Or, n’est-ce pas de cette façon que l’avoué retrouve pour la dernière fois Bartleby, dans cette prison à l’architecture égyptienne — et quoi de plus juste pour un scribe ? Bartleby replié sur lui-même, telle une lettre, disparaît doucement. La formule, sa répétition, ne faisait qu’accroître le repli de l’être-du-rien. Retiré dans les abîmes, d’où nul être humain ne ressort vivant, le scribe s’éteint doucement, dans un pieux et blanc silence, tel qu’il l’a toujours fait. Mais ne peut-on pas aussi voir dans cette étrange nouvelle, une démonstration de l’écriture percurrente d’Herman Melville ? Et comment distinguer, sinon dans la forme, Bartleby de la Baleine Blanche ?... [4] C’est l’histoire de l’encre comme sang, épousant ce blanc qui sonne comme un silence, un rien avant tout commencement... Le roman se fait tout seul, et ton roman est universel si tu veux...
Philippe Sollers — L'Infini, n°17 -
L'homme ne sait au fond ce qu'il peut penser; la fiction est là pour le lui apprendre.
Philippe Sollers -
«Je dis passion fixe, puisque j'ai eu beau changer, bouger, me contredire, avancer, reculer, progresser, évoluer, déraper, régresser, grossir, maigrir, vieillir, rajeunir, m'arrêter, repartir, je n'ai jamais suivi, en somme, que cette fixité passionnée. J'ai envie de dire que c'est elle qui me vit, me meurt, se sert de moi, me façonne, m'abandonne, me reprend, me roule. Je l'oublie, je me souviens d'elle, j'ai confiance en elle, elle se fraye un chemin à travers moi. Je suis moi quand elle est moi. Elle m'enveloppe, me quitte, me conseille, s'abstient, s'absente, me rejoint. Je suis un poisson dans son eau, un prénom dans son nom multiple. Elle m'a laissé naître, elle saura comment me faire mourir. »
Philippe Sollers — Passion fixe -
La maladie de l'adolescence est de ne pas savoir ce que l'on veut et de le vouloir cependant à tout prix.
Philippe Sollers -
Elle est morte. J'ai une peine immense. Depuis ce matin, je pleure. Je ne sais pas ce qui est en train de se passer. Tout est là. Les comptes sont arrêtés, oui. On ne peut pas prévoir la douleur. Ce désir de la voir encore. Ce moment est arrivé sans que je l'aie imaginé, prévu. Je la préférais folle que morte.
Annie Ernaux — "Je ne suis pas sortie de ma nuit" -
Le Président de la République a parlé à la télévision dimanche. Plusieurs fois il a dit "beaucoup de petites gens" (pensent ceci, souffrent de cela, etc), comme si ces gens qu'il qualifie ainsi ne l'écoutaient ni le regardaient, puisqu'il est inouï de laisser entendre à une catégorie de citoyens qu'ils sont des inférieurs, encore plus inouï qu'ils acceptent d'être traités ainsi. Cela signifiait aussi qu'il appartenait, lui, "aux grandes gens".
Annie Ernaux — Journal du dehors -
Trois cent soixante-cinq repas multipliés par deux, neuf cents fois la poêle, les casseroles sur le gaz, des milliers d'oeufs à casser, de tranches de barbaque à retourner, de packs de lait à vider. Toutes les femmes, le travail naturel de la femme. Avoir une profession, comme lui, bientôt, ne m'y fera pas échapper, au frichti. Quelle tâche un homme est-il obligé de se coltiner, tous les jours, deux fois par jour, simplement parce qu'il est homme.
Annie Ernaux — La femme gelée -
Trois cent soixante-cinq repas multipliés par deux, neuf cents fois la poêle, les casseroles sur le gaz, des milliers d'oeufs à casser, de tranches de barbaque à retourner, de packs de lait à vider. Toutes les femmes, le travail naturel de la femme. Avoir une profession, comme lui, bientôt, ne m'y fera pas échapper, au frichti. Quelle tâche un homme est-il obligé de se coltiner, tous les jours, deux fois par jour, simplement parce qu'il est homme.
Annie Ernaux — La femme gelée -
Le plus souvent, je ne pense à rien, je suis auprès d'elle, c'est tout. Il y a pour moi, toujours sa voix. Tout est dans la voix. La mort, c'est l'absence de voix par dessus-tout. (p.80 / Gallimard, collection blanche, 109)
Annie Ernaux — "Je ne suis pas sortie de ma nuit" -
fait partie de ces femmes, jamais rencontrées, mortes ou vivantes, réelles ou non, avec qui, malgré toutes les différences, je me sens quelque chose de commun. Elles forment en moi une chaîne invisible où se côtoient des artistes, des écrivaines, des héroïnes de roman et des femmes de mon enfance. J’ai l’impression que mon histoire est en elles. (Gallimard, p.40)
Annie Ernaux — L'événement -
Il avait faim. Quelle sensation ça fait de s’étaler la serviette sur les genoux et de voir arriver des nourritures qu’on n’a pas décidées, préparées, touillées, surveillées, des nourritures toutes neuves, dont on n’a pas reniflé toutes les étapes de la métamorphose. Je l’ai oublié. Bien sûr, le restaurant parfois, rare, il faut prendre une baby-sitting, et c’est de l’extraordinaire, des plats avec parfum de fric et je-te-sors-ce-soir-ma-jolie. Pas sa fête à lui, biquotidienne, tranquille, pas besoin de remercier, chic du céleri rémoulade, le bifteck saignant, les pommes de terre sautées fondantes dans le caquelon. Quand je me sers des pommes de terre en face de lui, ça fait une demi-heure que je les respire, les pré-mâche presque, toujours à goûter, la quantité de sel, le degré de cuisson, à couper l’appétit, le vrai, celui qui est désir et salive. Mais, lui, qu’il mange au moins, qu’il paie mes efforts, intraitable déjà, qu’il nettoie les plats, les restes me font horreur, comme une peine perdue, du gâchis d’énergie, et puis traîner dans le frigo un passé de nourriture qu’il faudra regoûter, resservir, maquiller, j’en ai mal au cœur d’avance (page 164 folio).
Annie Ernaux — La femme gelée -
Elle veut voir la télé tout de suite. Il lui est impossible d'attendre que j'ai débarrassé la table. Maintenant elle ne comprend plus rien, que son désir.
Annie Ernaux — "Je ne suis pas sortie de ma nuit" -
« Les parents d’un enfant mort ne savent pas ce que leur douleur fait à celui qui est vivant. »
Annie Ernaux — L'autre fille -
L'enjeu, c'était vraiment de saisir cette évolution du monde qui en cinquante ans a basculé de façon extraordinaire pour les hommes et les femmes de ma génération. Le mode de vie du début des années 1950 ressemble beaucoup à celui de mes parents, et même de mes grands-parents. On vivait encore d'une certaine façon dans l'avant-guerre. Si l'on compare les villes, l'intérieur des maisons, la différence est certainement plus grande entre 1950 et 2000 qu'entre 1850 et 1950. Le changement n'est pas dans les choses seulement, il est dans la manière de penser, dans le langage. La vision de l'avenir elle-même s'est modifiée.
Annie Ernaux — Le vrai lieu -
Comment définir cette entreprise d’écriture commencée il y a quatre décennies ? Écrire est un présent et un futur, non un passé… Quel titre – qu’on me réclamait – pour la qualifier ? Brusquement, m’est venu, comme une évidence : écrire la vie ! Non pas ma vie, ni la vie, ni même une vie. La vie avec ses contenus qui sont les mêmes pour tous mais que l’on éprouve de façon individuelle : le corps, l’éducation, l’appartenance et la condition sexuelles, la trajectoire sociale, l’existence des autres, la maladie, le deuil.
Annie Ernaux — Écrire la vie -
J’avais le privilège de vivre depuis le début, constamment, en toute conscience, ce qu’on finit toujours par découvrir dans la stupeur et le désarroi : l’homme qu’on aime est un étranger.
Annie Ernaux — Passion simple -
Je vais continuer d'écrire sur ma mère. Elle est la seule femme qui ait vraiment compté pour moi et elle était démente depuis deux ans.
Annie Ernaux — Une Femme -
Je pourrais m’arrêter à la phrase qui précède et faire comme si rien de ce qui se produit dans le monde et dans ma vie ne pouvait plus intervenir dans ce texte. Tenir celui-ci pour sorti du temps, en somme prêt à lire. Mais tant que ces pages sont encore personnelles, à portée de main comme elles le sont aujourd’hui, l’écriture est toujours ouverte. Il me paraît plus important d’ajouter ce que la réalité est venue apporter que de modifier la place d’un adjectif.
Annie Ernaux — Passion simple -
Donner un titre aux moments de sa vie, comme on le fait à l'école pour les passages littéraires est peut-être un moyen de la maîtriser ?
Annie Ernaux — L'Occupation -
Tout est difficile. Me dire, il est insignifiant intellectuellement, personnalité conformiste, etc ... ne sert à rien puisque ce n'est pas pour cela que je suis attachée à lui, mais par ce lien de peau indéfinissable, dont le manque est à crever.
Annie Ernaux — Se perdre -
Le reste du livre, ensuite, redevenait ce que toute activité a été pour moi pendant une année, un moyen d'user le temps entre deux rencontres. ~~~ Quand il aurait mis son veston, tout serait fini. Je n'étais plus que du temps passant à travers moi. ~~~~~ Je tombais dans un demi-sommeil où j'avais la sensation de dormir dans son corps à lui. ~~~ Je ne connaissais que la présence ou l'absence. J'accumule seulement les signes d'une passion, oscillant sans cesse entre "toujours" et "un jour"... ~~~~~ Au contraire, j'étais heureuse d'être unie à lui dans un début d'abjection. ~~~ J'avais le privilège de vivre depuis le début, constamment, en toute conscience, ce qu'on finit toujours par découvrir dans la stupeur et le désarroi : l'homme qu'on aime est un étranger. ~~~~~ j'entrais dans une rêverie de A. A la seconde juste où je tombais dans cet état, il se produisait dans ma tête un spasme de bonheur. J'avais l'impression de m'abandonner à un plaisir physique, comme si le cerveau, sous l'afflux répété des mêmes souvenirs, pouvait jouir, qu'il soit un organe sexuel pareil aux autres. ~~~ Tout était manque sans fin, sauf le moment où nous étions ensemble à faire l'amour. Et encore, j'avais la hantise du moment qui suivrait, où il serait reparti. Je vivais le plaisir comme une future douleur. ~~~~~ Le temps de l'écriture n'a rien à voir avec celui de la passion ~~~ Pourtant, c'est ce retour, irréel, presque inexistant, qui donne à ma passion tout son sens, qui est de ne pas en avoir, d'avoir été pendant deux ans la réalité la plus violente qui soit et la moins explicable. ~~~ A son insu, il m'a reliée davantage au monde. ~~~~~ Une sorte de don reversé.
Annie Ernaux — Passion simple -
Toute mon histoire de femme est celle d'un escalier qu'on descend en renâclant.
Annie Ernaux — La femme gelée -
Mais les signes de ce qui m'attendait réellement, je les ai tous négligés. Je travaille mon diplôme sur le surréalisme à la bibliothèque de Rouen, je sors, je traverse le square Verdrel, il fait doux, les cygnes du bassin ont reparu, et d'un seul coup j'ai conscience que je suis en train de vivre peut-être mes dernières semaines de fille seule, libre d'aller où je veux, de ne pas manger ce midi, de travailler dans ma chambre sans être dérangée. Je vais perdre définitivement la solitude. Peut-on s'isoler facilement dans un petit meublé, à deux. Et il voudra manger ses deux repas par jour. Toutes sortes d'images me traversent. Une vie pas drôle finalement. Mais je refoule, j'ai honte, ce sont des idées de fille unique, égocentrique, soucieuse de sa petite personne, mal élevée au fond. Un jour, il a du travail, il est fatigué, si on mangeait dans la chambre au lieu d'aller au restau. Six heures du soir cours Victor-Hugo, des femmes se précipitent aux Docks, en face du Montaigne, prennent ci et ça sans hésitation, comme si elles avaient dans la tête toute la programmation du repas de ce soir, de demain peut-être, pour quatre personnes ou plus aux goûts différents. Comment font-elles ? [...] Je n'y arriverai jamais. Je n'en veux pas de cette vie rythmée par les achats, la cuisine. Pourquoi n'est-il pas venu avec moi au supermarché. J'ai fini par acheter des quiches lorraines, du fromage, des poires. Il était en train d'écouter de la musique. Il a tout déballé avec un plaisir de gamin. Les poires étaient blettes au coeur, "tu t'es fait entuber". Je le hais. Je ne me marierai pas. Le lendemain, nous sommes retournés au restau universitaire, j'ai oublié. Toutes les craintes, les pressentiments, je les ai étouffés. Sublimés. D'accord, quand on vivra ensemble, je n'aurai plus autant de liberté, de loisirs, il y aura des courses, de la cuisine, du ménage, un peu. Et alors, tu renâcles petit cheval tu n'es pas courageuse, des tas de filles réussissent à tout "concilier", sourire aux lèvres, n'en font pas un drame comme toi. Au contraire, elles existent vraiment. Je me persuade qu'en me mariant je serai libérée de ce moi qui tourne en rond, se pose des questions, un moi inutile. Que j'atteindrai l'équilibre. L'homme, l'épaule solide, anti-métaphysique, dissipateur d'idées tourmentantes, qu'elle se marie donc ça la calmera, tes boutons même disparaîtront, je ris forcément, obscurément j'y crois. Mariage, "accomplissement", je marche. Quelquefois je songe qu'il est égoïste et qu'il ne s'intéresse guère à ce que je fais, moi je lis ses livres de sociologie, jamais il n'ouvre les miens, Breton ou Aragon. Alors la sagesse des femmes vient à mon secours : "Tous les hommes sont égoïstes." Mais aussi les principes moraux : "Accepter l'autre dans son altérité", tous les langages peuvent se rejoindre quand on veut.
Annie Ernaux — La femme gelée -
On ne parle jamais de ça, de la honte, des humiliations, on les oublie pas les phrases perfides en plein dans la gueule, surtout quand on est gosse.
Annie Ernaux — Les armoires vides -
La peur d'être déplacé, d'avoir honte. Un jour, il est monté par erreur en première avec un billet de seconde. Le contrôleur lui a fait payer un supplément . Autre souvenir de honte : chez le notaire, il a dû écrire le premier "lu et approuvé", il ne savait pas comment orthographier, il a choisi " à prouver". gêne, obsession de cette faute, sur la route du retour. L'ombre de l'indignité.
Annie Ernaux — La place -
Cette fille [..] je la sais fière de ce qu'elle a vécu, tenant pour négligeables les avanies et les insultes. Elle est dans l'orgueil de l'expérience, de la détention d'un savoir nouveau dont elle ne peut mesurer, imaginer ce qu'il produira en elle dans les mois qui viennent. L'avenir d'une acquisition est imprévisible.
Annie Ernaux — Mémoire de fille -
Plus tard, au cours de l'été, en attendant mon premier poste, « il faudra que j'explique tout cela ». Je voudrais dire, écrire au sujet de mon père, sa vie, et cette distance venue à l'adolescence entre lui et moi. Une distance de classe, mais particulièrement, qui n'a pas de nom. Comme l'amour séparé. Par la suite, j'ai commencé un roman dont il était le personnage principal. Sensation de dégoût au milieu du récit. Depuis peu, je sais que le roman est impossible. Pour rendre compte d'une vie soumise à la nécessité, je n'ai pas le droit de prendre d'abord le parti de l'art, ni de chercher à faire quelque chose de " passionnant ", ou d' " émouvant ". Je rassemblerai les paroles, les gestes, les goûts de mon père, les faits marquants de sa vie, tous les signes objectifs d'une existence que j'ai aussi partagée. Aucune poésie du souvenir, pas de dérision jubilante. L'écriture plate me vient naturellement, celle-là même que j'utilisais en écrivant autrefois à mes parents pour leur dire les nouvelles essentielles.
Annie Ernaux — La place -
Pour moi, la vérité est simplement le nom donné à ce qu'on cherche et qui se dérobe sans cesse. (p.30)
Annie Ernaux — L'Ecriture comme un couteau -
Après, il ne nous a plus vus que de loin en loin. On habitait une ville touristique des Alpes, où mon mari avait un poste administratif. On tendait les murs de toile de jute, on offrait du whisky à l'apéritif, on écoutait le panorama de musique ancienne à la radio. Trois mots de politesse à la concierge. J'ai glissé dans cette moitié du monde pour laquelle l'autre n'est qu'un décor. Ma mère écrivait, vous pourriez venir vous reposer à la maison, n'osant pas dire de venir les voir pour eux-mêmes. J'y allais seule, taisant les vraies raisons de l'indifférence de leur gendre, raisons indicibles, entre lui et moi, et que j'ai admises comme allant de soi. Comment un homme né dans une bourgeoisie à diplômes, constamment " ironique ", aurait-il pu se plaire en compagnie de " braves gens ", dont la gentillesse, reconnue de lui, ne compensait jamais à ses yeux ce manque essentiel : une conversation spirituelle. Dans sa famille, par exemple, si l'on cassait un verre, quelqu'un s'écriait aussitôt, « n'y touchez pas, il est brisé ! » (vers de Sully Prud'homme).
Annie Ernaux — La place -
Après, il ne nous a plus vus que de loin en loin. On habitait une ville touristique des Alpes, où mon mari avait un poste administratif. On tendait les murs de toile de jute, on offrait du whisky à l'apéritif, on écoutait le panorama de musique ancienne à la radio. Trois mots de politesse à la concierge. J'ai glissé dans cette moitié du monde pour laquelle l'autre n'est qu'un décor. Ma mère écrivait, vous pourriez venir vous reposer à la maison, n'osant pas dire de venir les voir pour eux-mêmes. J'y allais seule, taisant les vraies raisons de l'indifférence de leur gendre, raisons indicibles, entre lui et moi, et que j'ai admises comme allant de soi. Comment un homme né dans une bourgeoisie à diplômes, constamment " ironique ", aurait-il pu se plaire en compagnie de " braves gens ", dont la gentillesse, reconnue de lui, ne compensait jamais à ses yeux ce manque essentiel : une conversation spirituelle. Dans sa famille, par exemple, si l'on cassait un verre, quelqu'un s'écriait aussitôt, « n'y touchez pas, il est brisé ! » (vers de Sully Prud'homme).
Annie Ernaux — La place -
« La vérité est simplement le nom donné à ce qu’on cherche et qui se dérobe sans cesse » .
Annie Ernaux — La place -
Il jouait au Loto sportif chaque semaine, attendant, comme il est naturel au cœur de la nécessité, tout du hasard : "je gagnerai un jour, c'est forcé."
Annie Ernaux — Le jeune homme -
Le processus est souvent le suivant. A un moment, je suis poussée à écrire quelques pages, auxquelles je n’assigne aucun but, qui ne sont pas destinées à constituer le début d’un texte précis. Je m’arrête, je ne vois pas où je vais, je laisse de côté ce fragment. Plus tard, il va se révéler déterminant dans le projet qui, entre-temps, est devenu plus clair et qui, en quelque sorte, s’y accrochera.
Annie Ernaux — L'Ecriture comme un couteau -
C'est un lieu, l'écriture, un lieu immatériel. Même si je ne suis pas dans l'écriture d'imagination, mais l'écriture de la mémoire et de la réalité, c'est aussi une façon de m'évader. D'être ailleurs. L'image qui me vient toujours pour l'écriture, c'est celle d'une immersion. De l'immersion dans une réalité qui n'est pas moi. Mais qui est passée par moi.
Annie Ernaux — Le vrai lieu -
Sa vie la plus intense est dans les livres dont elle est avide depuis qu'elle sait lire. C'est par eux et les journaux féminins qu'elle connaît le monde.
Annie Ernaux — Mémoire de fille