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Michel Houellebecq : Plateforme - critique

Au croisement entre la grande Mosquée bleue d’Istanbul et l’ancienne église Sainte Sophie, un couple s’embrasse éperdument et s’abandonne totalement à l’autre comme on le ferait pour son dieu. Dans ce haut lieu de sacralité, leur amour l’est encore plus.

Observant jalousement leurs baisers, je tourne les dernières pages de Plateforme, de Michel Houellebecq. C’était le dernier de ses romans qui me restait à lire. Plateforme semble écrit plus fougueusement que ses ouvrages plus récents, comme si Houellebecq avait quelque chose à dire de plus brulant que d’habitude, malgré la passivité du personnage principal, caractéristique de l’écrivain. Dans cet ouvrage, Houellebecq n’est pas avare d’un langage cru pour peindre l’incompréhension croissante de nos rapports à autrui. Dans un monde aux allures d’un aéroport déshumanisé, les “salopes” côtoient des “connards” ; la haine entre les hommes est exacerbée et se change en résignation.

Michel, fonctionnaire quadragénaire et blasé, décide de partir en vacances organisées en Thaïlande. Comme de nombreux touristes occidentaux, il erre à la recherche du bonheur dans un groupe composé d’individualités flasques. Parangon du capitalisme moderne, il dispose de deux semaines pour retrouver la volonté de vivre dans les bras de prostituées thaïlandaises. Seulement voilà, Valérie fait aussi partie du voyage, et Michel se surprend à être encore capable d’aimer.

Finalement, ce que décrit ce roman est limpide. Les occidentaux ne veulent plus consommer à outrance, croire en une religion, aduler leurs dirigeants politiques ou faire carrière dans une multinationale. Non, ce qu’ils veulent vraiment, c’est simplement connaître l’amour : aimer et être aimé en retour. La sexualité n’est alors qu’une illusion blafarde car on sait très bien que si un baiser ne ment pas, l’orgasme est certainement la pièce de théâtre la plus jouée au monde. La masturbation est l'expédient des âmes solitaires pour soulager leur manque de réussite amoureuse ; les films porno des placebos qui ont échappé à l’industrie pharmaceutique.

Houellebecq résume dans une occurrence du livre le grand mal de l’Homme moderne : “lorsque la vie amoureuse est terminée, c'est la vie dans son ensemble qui acquiert quelque chose d'un peu conventionnel et forcé. On maintient une forme humaine, des comportements habituels, une espèce de structure ; mais le cœur, comme on dit, n'y est plus”.

Alors si d’aventure vous rencontrez votre Valérie, si vous avez la chance d’être amoureux au XXIème siècle, jouissez de cet amour sans limites, n’ayez aucun regret à le consumer entièrement avant qu’il ne s’éteigne… souvent trop rapidement.


Le livre : Plateforme de Michel Houellebecq (Flammarion, 2001)

« Mon père est mort il y a un an. Je ne crois pas à cette théorie selon laquelle on devient réellement adulte à la mort de ses parents ; on ne devient jamais réellement adulte. Devant le cercueil du vieillard, des pensées déplaisantes me sont venues. Il avait profité de la vie, le vieux salaud ; il s’était démerdé comme un chef. “T’as eu des gosses, mon con… me dis-je avec entrain ; t’as fourré ta grosse bite dans la chatte à ma mère.” Enfin j’étais un peu tendu, c’est certain ; ce n’est pas tous les jours qu’on a des morts dans sa famille. J’avais refusé de voir le cadavre. J’ai quarante ans, j’ai déjà eu l’occasion de voir des cadavres ; maintenant, je préfère éviter. C’est ce qui m’a toujours retenu d’acheter un animal domestique. Je ne me suis pas marié, non plus. J’en ai eu l’occasion, plusieurs fois ; mais à chaque fois j’ai décliné. Pourtant, j’aime bien les femmes. C’est un peu un regret, dans ma vie, le célibat. C’est surtout gênant pour les vacances. Les gens se méfient des hommes seuls en vacances, à partir d’un certain âge : ils supposent chez eux beaucoup d’égoïsme et sans doute un peu de vice ; je ne peux pas leur donner tort. »

Plateforme est le roman le plus abouti de la peinture sociale houellebecquienne de notre époque : imaginaire des classes moyennes, tourisme comme enjeu économique, notamment sexuel, monde des affaires, désordre amoureux. Un grand livre.

Le Monde.
  • Nombre de pages : 372
  • Prix : 20.30 euros

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L'auteur : Michel Houellebecq

Romancier, essayiste, poète, considéré par de nombreux critiques comme l’écrivain français le plus marquant de notre époque, il est lu dans le monde entier depuis Extension du domaine de la lutte (1994). Michel Houellebecq a reçu le prix Goncourt pour son roman La Carte et le territoire, en 2010. Soumission, paru en 2015, a suscité admiration et polémique ; il a été un best-seller dans la plupart des pays européens.

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Sujets :  XXIe

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Commentaires

Gamling

Tout à fait. Mais pourquoi ce titre?

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Car le personnage principal passe du temps dans les aéroports, qu'il décrit comme une plateforme, il me semble.

Nicolas

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Georg Ahner

Si on veut transformer le nom propre de Houellebecq comment faut-il l’écrire correctement?

houllebecqois ?

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La langue française

Houellebecquien ?

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