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Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras : signification et origine du proverbe

Cet avertissement présenté sous forme de vérité générale « Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras » vous vient tout naturellement aux lèvres, lorsque vous vous trouvez face à une personne qui, ayant acquis une chose de façon certaine, est toute prête à l'échanger contre l'espoir d'en acquérir d'autres, plus grandes et plus avantageuses. 

Origines du proverbe « Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras »

On attribue souvent pour origine au proverbe « Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras » la fable de La Fontaine intitulée Le Petit Poisson et le Pêcheur, mais on verra qu'il s'enracine dans une tradition beaucoup plus lointaine :

« Petit poisson deviendra grand
Pourvu que Dieu lui prête vie.
Mais le lâcher en attendant,
Je tiens pour moi que c'est folie ;
Car de le rattraper il n'est pas trop certain.
Un carpeau qui n'était encore que fretin
Fut pris par un pêcheur au bord d'une rivière.
Tout fait nombre, dit l'homme en voyant son butin ;
Voilà commencement de chère et de festin :
Mettons-le en notre gibecière.
Le pauvre carpillon lui fit en sa manière :
Que ferez-vous de moi ? je ne saurais fournir
Au plus qu'une demi-bouchée.
Laissez-moi carpe devenir :
Je serai par vous repêchée.
Quelque gros partisan m'achètera bien cher :
Au lieu qu'il vous en faut chercher
Peut-être encor cent de ma taille
Pour faire un plat. Quel plat ? croyez-moi, rien qui vaille.
Rien qui vaille et bien soit, repartit le pêcheur :
Poisson mon bel ami, qui faites le prêcheur,
Vous irez dans la poêle ; et vous avez beau dire ;
Dès ce soir on vous fera frire.

Un tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l'auras ;
L'un est sûr, l'autre ne l'est pas. »

Jean de La Fontaine, Fables, Le Petit Poisson et le Pêcheur

Cette jolie (et cruelle) fable publiée en 1668 est en fait la reprise d'une fable d'Ésope (620-564 av. J.-C.) intitulée, selon les versions, Le Pêcheur et le Picarel ou Le Pêcheur et la Mendole (picarel et mendole étant des petits poissons communs se déplaçant en banc) : 

Un pêcheur, ayant laissé couler son filet dans la mer, en retira un picarel. Comme il était petit, le picarel supplia le pêcheur de ne point le prendre pour le moment, mais de le relâcher en considération de sa petitesse. « Mais quand j’aurai grandi, continua-t-il, et que je serai un gros poisson, tu pourras me reprendre ; aussi bien je te ferai plus de profit. — Hé mais ! répartit le pêcheur, je serais un sot de lâcher le butin que j’ai dans la main, pour compter sur le butin à venir, si grand qu’il soit.

Cette fable montre que ce serait folie de lâcher, sans espoir d’un profit plus grand, le profit qu’on a dans la main, sous prétexte qu’il est petit. 

Ésope, Le Pêcheur et le Picarel (traduction d'Émile Chambry, 1927)
Le Petit Poisson et le Pêcheur par Gustave Doré, 1867
Le Petit Poisson et le Pêcheur par Gustave Doré, 1867

On constate que les deux fables sont très proches, La Fontaine n'ayant fait que reformuler avec ses mots la petite histoire du poisson qui plaide vainement sa cause pour obtenir la grâce du pêcheur bien décidé à le croquer...

Mais il faut savoir que la formulation de La Fontaine est au cœur d'un débat qui agite encore aujourd'hui les spécialistes : doit-on écrire comme on le fait le plus couramment « Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras », où « tiens » est l'impératif du verbe tenir, ou bien  « Un tien vaut mieux que deux tu l'auras », où « tien » est un pronom marquant la possession ? Qui a raison ? 

Si l'on regarde la plus ancienne attestation du proverbe, datée du XIIIe siècle, on trouve le mot sans son -s : « Assez vaut mieux un tien que quatre tu l'auras », et pas de -s non plus dans les premières éditions du recueil de fables de La Fontaine. Toutefois, cela ne donne pas pour autant raison aux partisans du pronom possessif ! Car, en français ancien, « tien » était l'impératif du verbe tenir ! Il s'agit donc bien de la forme verbale, comme en atteste aussi le dictionnaire franco-anglais de Cotgrave (1611) qui donnait la forme au pluriel « Mieux vaut un tenez que deux vous l'aurez ».

Signification du proverbe « Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras »

Le message délivré par le proverbe « Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras » est limpide : une chose qu'on a entre ses mains, qu'on est sûr de posséder, est préférable à la promesse de la possession de deux choses car, comme le dit La Fontaine en conclusion, si la première est sûre, tangible, indubitable, la seconde, incarnée par le futur vague « tu l'auras », présente le risque fâcheux de ne jamais se réaliser. Bref, si vous avez faim, préférez le croûton de pain qu'on vous tend à l'assurance qu'on vous apportera bientôt des brioches ! 

C'est toute une philosophie de la vie qui se cache derrière ce proverbe : il faut savoir se contenter de son bien présent, si modeste soit-il, plutôt que se nourrir de grands espoirs de conquête qui pourront bien se révéler n'être que des chimères… 

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Exemples d'usage du proverbe « Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras »

L'équivalent anglais du proverbe « Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras » était déjà relevé dans le dictionnaire de Cotgrave (1611) : 

Better one bird in the hand than two in the bush (mieux vaut un oiseau dans la main que deux oiseaux dans le buisson)

Et c'est incontestablement la version anglaise qui a fait recette dans d'autres langues : 

  • allemand : Besser ein Spatz in der Hand als eine Taube auf dem Dach (mieux vaut un moineau dans la main qu’une colombe sur le toit) 
  • espagnol : Más vale pájaro en mano que ciento volando (mieux vaut un oiseau dans la main que cent oiseaux qui volent) 
  • portugais : mais vale um pássaro na mão que dois a voar (mieux vaut un oiseau dans la main que deux qui volent) 

Quant aux Italiens, ils ont choisi d'être originaux, tout en restant dans la sphère animale :

  • Meglio l'uovo oggi che la gallina domani (mieux vaut un œuf aujourd’hui qu’une poule demain). 

Citations littéraires : 

MONIQUE : - Un bon tiens vaut mieux que deux tu l'as eu. (Elle prononce tulazu.)

Jacques Audiberti, L'Effet Glapion, 1959

...elle citait souvent, en prenant un air finaud « Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras. » Le bonheur, c'était ici et maintenant qu'elle le voulait, palpable et dégustable; du bon bonheur du terroir à consommer sur place, parce que, celui de l'autre monde, on ignorait quelle consistance et quelle saveur il avait, et quelle part on en recevrait.

Sylvie Germain, Chanson des mal-aimants, 2004

Les parents de Merché affirmaient bien, comme beaucoup de croyants, que la foi était un don, mais cette conviction déclarée ne les empêchait nullement de compter sur tout autre chose. Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras. Un bon milieu, une bonne éducation, des idées saines, les leurs, tout ce qu'il fallait.

Jean Sulivan, Mais il y a la mer, 1974

Car on dit aussi qu'un tiens vaut mieux que deux tu l'auras, qu'il ne faut pas changer son cheval borgne pour un aveugle, et autres grandes vérités.

Louis Guilloux, Absent de Paris, 1952

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Sylvie Brunet

Sylvie Brunet

Sylvie Brunet, auteure de nombreux livres sur la langue française, est "parémiologue", c'est-à-dire qu'elle étudie les proverbes. Elle nous livre ici tous les secrets de nos proverbes préférés.

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Commentaires

Roger Rivière

Juste un petit commentaire en 2 parties :

1- je ne pense pas que par ses recherches Sylvie Brunet ait pu démontrer l’antériorité chronologique du proverbe anglais  » Better one bird in the hand than two in the bush  » par rapport aux autres versions étrangères et pourtant, telle que la chose est écrite, c’est bien ce qu’il en ressort puisqu’on peut lire :
 » Et c’est incontestablement la version anglaise qui a fait recette dans d’autres langues… »,
… ce qui signifie bien que les autres langue mentionnées à la suite se sont inspirées de la créativité populaire  »British » !

2- dans les références littéraires il est cité  »Car on dit aussi qu’un tiens vaut mieux que deux tu l’auras, qu’il ne faut pas changer son cheval borgne pour un aveugle, et autres grandes vérités » de Louis Guilloux, Absent de Paris, 1952 -, mais on peut mentionner un proverbe très proche sémantiquement et très peu utilisé qui est  »Lâcher la proie pour l’ombre », également tiré d’une fable de La Fontaine et qui se comprend dans le contexte d’un jeu de lumières, où souvent l’ombre projetée d’un objet est plus grosse que l’objet en question qui lui donne naissance. Dans la fable, un chien voit projetée à la surface d’un plan d’eau l’ombre de sa proie qu’il a déjà saisie, l’ombre est plus grosse que l’animal attrapé et le chien ne voyant pas l’illusion d’optique lâche sa vraie proie pour saisir l’ombre… évidemment il échoue et de plus manque de se noyer : résultat de l’opération = il a tout perdu !

Salutations.

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Sylvie

Merci de votre commentaire. Loin de moi l’idée de prétendre connaître la date d’apparition des proverbes dans les différentes langues auxquelles je fais référence! Si vous me lisez bien, vous verrez que, partant du dictionnaire bilingue de Cotgrave (1611), mine de renseignements d’autant plus précieuse qu’elle est antérieure à nos plus anciens dictionnaires unilingues, je note l’existence de deux formes du proverbe, la française et l’anglaise, et en établis seulement le constat que les autres langues sont alignées sur la version avec oiseau de l’anglais.
Par ailleurs, « lâcher la proie pour l’ombre » est une expression idiomatique, non un proverbe.
Cordialement,
Sylvie

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Odilon

Très belle citation,
‘aime bien l’utiliser car elle donne sens à ce qui est essentiel et concret.
Merci pour la profondeur des informations et la leçon de vie qu’elles donnent.
Méditons!

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Delneste

Une variante du même proverbe en bruxellois : » Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras pas! » (in Le mariage de Melle Beulemans de Fernand Wicheler et Frantz Fonson)

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Patricia

errata: lire pour le commentaire ci-dessus:
qui veulent toujours gagner plus

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Patricia

A apprendre aux jeunes qui veux toujours gagner plus sans apprécier les acquis.

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Orelus Eveline

Merci pour l’apprentissage

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Verlande

Ça c’est vrai..un philosophie de la vie..on doit se contenter de ce qu’ on a..

Merci

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La langue française

Merci pour votre commentaire.

À bientôt,
Nicolas.

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محمد خماخم Mohamed Khemakhem

Avec l’avènement du corona, je me demande s’il ne serait pas intéressant de focaliser d’avanrage nos regards sur un registre particulier de la langue notamment celui de la langue populaire en vue de tirer des informations, quoique minimes, sur la mémoire collective des ancêtres sur ce thème.

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